Merci le patriarcat

Alors que je marchais depuis plusieurs minutes sous une pluie battante, mes pensées vagabondaient.

Je réfléchis fortement aux remerciements du livre. Oui, parce que je ne pense pas écrire un livre tous les ans, et je ne voudrais pas me tromper en nommant les gens que j’aime et qui comptent.

Mais qui dois je remercier ? Ma prof de français qui a donné un sens à l’écriture ? Ma mère pour ne pas m’avoir refilé toutes ses névroses ? Tous ces mecs qui m’ont fait sentir comme une moins que rien pendant mes études ?

Et si je remerciais simplement le patriarcat pour tout ce qu’il a fait.

Pour ceux et celles du fond qui ne suivent pas, le patriarcat est le système économique, politique et de normes qui favorise les hommes au détriment des femmes. Cela se traduit dans l’éducation, dans le couple et au travail. Quelques hommes en profitent alors que quelques femmes jouent sur les codes. Ce n’est pas parce qu’on est un homme qu’on ne peut pas s’en défaire mais faut un peu bosser.

Bref.

Merci le patriarcat.

Merci le patriarcat pour les jouets genrés de l’enfance. Cela m’a permis d’apprendre à passer l’aspirateur et à m’occuper d’enfants. Mes jeux ont été tellement autour du couple marié que j’ai eu deux mariages et quatre enfants avant mes cinq ans. Mariée à Papin puis à Bruel. Faut pas déconner. #team90

Merci le patriarcat pour les normes autour du corps depuis l’enfance. J’ai mis un certain temps à comprendre que mon corps avait le droit d’exister en tant que corps et que je devais arrêter de m’excuser de ne pas faire du 38. Ca aura mis juste une dizaine d’années.

A lire aussi :  Mon cher corps

Merci le patriarcat de ne pas trouver ma taille en magasin. Cela m’a permis d’arrêter la fast fashion et surtout cela m’a permis de découvrir mon style, qui ne se trouve pas dans les grandes enseignes.

Merci le patriarcat pour ne pas réussir à sortir sans être maquillée et bien habillée. Je pourrais dire aussi merci maman, mais ça fait 14 ans que je ne vis plus avec elle, donc… Merci pour l’obligation que je vis d’être toujours impeccable.

Merci le patriarcat pour cette réputation de salope au collège et au lycée. Merci pour le site internet avec des photos de moi que les mecs se faisaient tourner, merci pour les insultes, les rires, les fausses amitiés, les ragots sur ma gueule parce que j’avais tendance à être un peu plus libre que les autres.

Merci le patriarcat d’avoir toujours entraver cette liberté de mouvement et d’actions. Merci de m’avoir mis des bâtons dans les roues en politique, grâce à cela je sais aujourd’hui que ma carrière ne se fera pas dans un parti politique. Merci aux mecs qui ont voulu m’apprendre la politique en me coinçant dans des toilettes, en me touchant les seins et les fesses, juste pour rire, juste pour m’apprendre à rester à ma place.

Merci le patriarcat d’avoir servi de caution à toutes ces copines qui ont pourries mon adolescence et pas mal ma vie étudiante, avec tous les conseils à la con autour des mecs, de l’amour, du sexe, de l’épilation, de ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Ah pis, merci la vieillesse de m’avoir prouvé que je pouvais suivre mon instinct, mais ça c’est une autre histoire.

A lire aussi :  Est-ce que tous les hommes sont des violeurs ?

Merci le patriarcat de m’avoir poussé jusqu’à la dépression en me faisant croire que si je n’étais pas mère, je ne serais rien. Merci vraiment, c’est sûrement la meilleure histoire que je pouvais apprendre. Je pensais que je serais complète avec un enfant. Il a juste été le déclencheur de ce que j’étais vraiment.

Merci le patriarcat de me permettre d’ouvrir un compte qui est alimenté par les histoires du quotidien des femmes et qui montrent à quel point le patriarcat est présent dans les couples.

Merci le patriarcat d’avoir mis un certain temps à me faire découvrir mon clitoris. Faut dire que si je l’avais découvert avant, ça aurait pu me donner du plaisir.

Merci le patriarcat de me faire connaître des sœurs de luttes, de me permettre d’avoir des débats enflammés avec mes semblables, de me donner de l’ironie pour répondre à ceux et celles qui ne pensent pas comme moi.

Merci le patriarcat pour les moments de doute, les moments où je m’interroge, où je ne sais pas vers où je vais. C’est parce que ce système est particulièrement bien fait quand on veut le remettre en cause, que cela doit arriver.

Merci le patriarcat d’être partout présent et de créer des Jean Michel qui m’expliquent la vie, me sifflent dans la rue, me harcèlent sur Internet et me traitent de salope dès que possible et des Jeanne Micheline qui me donnent des leçons sur la maternité, sur le rangement, sur ma maison, sur ma personne, sur mon maquillage, sur… Sans eux et elles, je ne saurais finalement pas le prix de la liberté.

A lire aussi :  Ne pas savoir où on va : est-ce le problème?

Merci le patriarcat pour tout ce système créé, qui a construit la personne que je suis, qui m’a permis d’avoir de la force et de l’ambition, qui m’a permis des rencontres. Il aura fallu beaucoup de souffrance pour comprendre que je suis la seule à détenir ma vie entre mes mains. Ce n’est jamais facile à comprendre. On aimerait que cela se fasse sans fracas.

Je pense que oui, mes remerciements pour le livre pourrait bien ressembler à cela. Juste pour le plaisir, juste parce que parfois il faut oser dire les choses. Sans toutes les étapes que le patriarcat a mis sur ma route, je ne serais pas celle que je suis. Sans toutes les personnes bienveillantes, je ne serais pas celle que je suis. Sans toutes les personnes non déconstruites, je ne serais pas celle que je suis.

On pourrait continuer la liste des remerciements en reprenant chaque point de ma vie. Cela montre encore un peu plus que nous sommes dans une société où être libre est bien plus compliqué que prévu.

Et même si j’ai galéré sur ce chemin, même si je galère encore, je suis contente de l’avoir pris. C’est un chemin intéressant, semé d’embûches, qui me permet de me construire.

Alors rien que pour ça : merci le patriarcat.