T’as posé ta tête contre ma poitrine. J’ai senti que tu souriais. J’ai senti que tu étais bien. T’as remonté ta tête et tu m’as regardé. Il y avait tes quatre dents du dessus et les deux du bas qui semblaient vouloir me manger. T’as posé ta bouche contre mon front et puis tu as essayé de monter sur moi.
Tu vas avoir un an dans quatre jours.
T’as bouleversé ma vie.
T’as tout changé et rien changé à la fois.
Ton existence change à jamais celle de ton père et la mienne. Elle change notre existence de couple.
Mais bordel que c’est bon.
Tu vas avoir un an. T’as des grands yeux marrons et tu galopes à quatre pattes. T’es blond, comme moi., à ton âge. Tu tires mes cheveux rouges. Tu es barbouillé par mon rouge à lèvres rouge. Tu souris à tout le monde au bar, dans la rue. Tu aimes rire. Tu cries quand tu n’es pas content. Tu sais déjà ce que tu veux. Mais t’es souple aussi.
Quand je te regarde, je ne me souviens pas de quand tu étais dans mon ventre. Je me souviens juste que j’ai mis du temps à apprécier d’être mère. Et encore aujourd’hui, parfois, je sens les contraintes sur mes épaules et je me questionne.
Pour tout te dire, cette année n’a pas été une année de tout repos. Alors non, désolée de décevoir, ce n’est pas toi qui n’a pas été de tout repos, non. C’est la découverte de la maternité et de son lot de contraintes et de questionnements qui n’ont pas été de tout repos.
Par exemple, je ne pense pas que tu sois difficile à vivre . Tu dors la nuit depuis longtemps, tu fais des siestes longues, tu manges bien et tu ris aux éclats. Tu n’as jamais arraché de livres et tu sembles bien dans tes baskets. D’ailleurs, ton père vient de t’acheter des Stan Smith avec son premier salaire. Je ne te dis pas la tête que j’ai faite. C’était drôle à voir.
Quoiqu’il en soit ce n’est pas le rythme, ce n’est pas la contrainte de t’avoir au quotidien qui m’a mis un blues d’enfer. Non. En fait je ne m’étais jamais rendue compte à quel point la maternité pouvait être vue comme une contrainte et comment celle-ci pouvait influencer les regards des autres.
Je me suis surtout rendue compte que ton attente, celle de ces dix-huit longs mois, de celles de diagnostic OPK et de la fausse couche, m’avait profondément transformée et que je m’étais perdue dans les méandres d’une bonne dépression qui n’avait jamais dit son nom mais qui était vécue ainsi.
Où était-elle la Madame Sourire qui sortait ? Qui riait ? Qui ne se prenait pas la tête ? Je crois que je l’ai perdu pendant trois ans. Je me suis perdue pendant trois ans et t’avoir auprès de moi m’a permis de me retrouver.
J’avais « accompli » mon envie profonde d’être mère. Je savais maintenant que tout fonctionnait. Je pouvais redevenir celle que j’avais toujours été. Celle finalement qui se cachait derrière des angoisses intimes, derrière cette peur viscérale de n’être jamais mère.
De n’être jamais mère.
Avec toi, j’ai réussi à me dire que je pouvais le faire. Que mon corps pouvait le faire. Que je n’étais pas une incapable.
Oui, c’est dur d’écrire cela, mais tu sais, quand tu as envie d’être mère, et que tu attends, et que tu n’y arrives pas, tu es capable de tout penser, de tout dire. Tu es capable de voir cela comme un test, comme une malchance, comme une épreuve. Tu es capable de te détester, tu es capable de tout foutre en l’air.
Je me souviens quand je pleurais dans les rayons d’un supermarché, parce que cela faisait encore des mois que je n’avais pas mes règles, je sanglotais en me répétant que je n’aurais jamais d’enfant. Je me souviens de l’angoisse que j’ai ressenti quand j’ai vu le « + » sur le test, au mois de janvier 2018, le mois de mes 30 ans. Ce n’était pas possible. Ce n’était pas pour moi.
T’as en effet tout changé et rien changé à la fois.
T’as changé mon quotidien, t’as remis en cause notre couple, t’as mis à malle notre organisation si bien rodée, t’as fait naître mes envies de musique, de danse et d’alcool, tu m’as donné la force de me lever le matin après une gueule de bois, t’as créé en moi une force insoupçonnée et insoupçonnable. Cette force qui me pousse à vouloir être mieux, à vouloir être meilleure, à vouloir être moi, loin des normes de la mère parfaite.
T’as rien changé parce que je suis redevenue celle qui me manquait tant. Celle qui aime rire, celle qui a envie de se sentir belle, celle qui a envie de conquérir le monde, de le renverser, de le bouffer jusqu’à ce qu’il change. T’as renforcé mes envies de révolution et mes envies de tout changer. T’as réussi tout cela et bien plus encore.
Tu sais, c’est dur d’être une mère.
J’aurais baffé la nana qui me disait ça il y a deux ans, mais passons…
C’est dur d’être mère, parce que la société attend beaucoup d’elles, de nous et de moi.
Elle attend les bons petits plats le soir fait-maisons. Elle attend la douceur, le lien obligatoire avec l’enfant, le besoin de ne jamais se séparer, le besoin de s’inquiéter. Elle attend que les mères soient présentes, proches de l’enfant, pas loin de son mari. Elle attend un modèle, elle attend des modèles, mais qui sont toujours proches. Elle ne permet pas l’épanouissement de celle qui veut faire différemment.
Bah moi, la maternité, ça m’a donné envie de courir en sens inverse.
Cela m’a donné envie de partir. Cela m’a donné envie d’être moi, de ne plus être dévouée, de ne plus être toujours présente. Ta présence m’a donnée envie de me tourner vers l’extérieur. Pas pour te fuir. Pas pour oublier. Non. Pour pouvoir baliser le terrain. Pour avoir une mère épanouie. Pour avoir une mère qui accepte qu’un jour tu es aussi ta propre vie.
C’est pour accepter une nouvelle vie auprès de moi que j’ai eu envie de reprendre en main la mienne.
Je pensais que je serais une maman poule. De celle qui pleure quand elle laisse son enfant. De celle qui se demande si tu n’as pas trop froid, trop chaud ou trop…
Je suis tout l’inverse. Quand je suis avec toi, je suis sûre de moi. Je suis contente de voir que tu te sens bien avec tes grand-parents. Je lâche sur beaucoup de points peu importants finalement pour moi. Et comme dirait ton médecin « Poil-Poil » : « Vous, sur l’échelle du stress, entre zéro et dix, vous êtes aux alentours du moins dix. »
Je ne m’inquiète plus. Je lis, je me questionne. Mais je lâche prise.
Quand je suis seule avec toi, quand Papa est à Nantes, on prend notre temps. On va au café voir les copines, tu me laisses boire des bières, tu rigoles, parfois tu cries parce que tu veux aller par terre, mais tu me laisses une heure pour être avec moi-même. C’est ce temps-là qui me permet de me sentir bien.
Alors avec ton père, ce n’est pas facile tous les jours. Il parait que c’est normal, c’est même le titre de 15000 billets de blog « le couple au bout d’un an de parentalité« . Je pensais qu’on serait différents, parce qu’on a toujours été différents, et apparemment, non. Je suis un peu déçue de partager le quotidien de milliers de couple. Cela me rassure aussi sur ma capacité à être un individu lambda. Un jour peut-être, on te racontera comment Papa a fini sa thèse et comment Maman avait décidé de vivre sa vie. C’est une histoire avec quelques larmes et pas mal d’incompréhensions. Avec des rôles secondaires intéressants. Avec des nuits de fête et des discussions à bâtons rompus sur l’essence même d’un couple.
Peut-être qu’on pourra t’aider dans tes réflexions un jour. En tout cas, ton père est un chouette type réfléchi et c’est merveilleux de le voir être ton papa. (Et il va finir sa thèse tout en étant prof à Nantes, vas-y mon amour, go go go ! )
Je te le répète : t’as tout changé et rien changé à la fois, t’as tout pris en laissant tout sur ton passage.
T’as un an dans quelques jours.
Bon anniversaire, mon fils.