Je ne vous écris pas de ma résidence secondaire où nous aurions fui. Nous ne cachons pas notre voiture avec une plaque 75. Nous ne vivons pas un conte de fée.
Je vous écris de chez moi, résidence que je n’ai pas quitté depuis maintenant une semaine, refusant de sortir : entre la peur d’être malade et la colère que je ressens contre l’ensemble du monde. Je voudrais éviter d’exploser dans un rayon de Franprix. On n’a pas besoin de cela.
Je vous écris en ne suivant pas une routine à la minute près « parce que c’est important pour le moral ». Je vous écris au moment où mon enfant a consenti enfin à faire une sieste, qu’il n’avait pas faite depuis une semaine. Je ne vous écris pas en étant habillée et maquillée, comme d’habitude, je vous écris en pyjama, sans soutif et sans lentilles, les cheveux sales, sentant un peu la friture parce que j’ai fait des falafels ce midi.
Le temps s’est arrêté.
On ne sait plus si il est 10h, 14h ou 17h, si on est lundi ou samedi. D’ailleurs on s’en moque, parce que le programme sera toujours le même : essayer de ne pas péter un câble, maintenir l’équilibre psychique de chacun et chacune, ne pas se mettre la pression. Et attendre.
Nous sommes les chanceux qui pouvons télétravailler. Je ne savais pas encore que mon métier pouvait se convertir si vite, en un week-end. Je ne savais pas que les inégalités d’accès pouvaient se finir aussi rapidement, en un week-end, mais PAF, il a fallu TOUT DE SUITE, qu’on soit adaptable alors que JAMAIS nous n’avons fait ça de notre vie.
Mais l’école est un repère. Alors, face à l’impensable, on a fait. Pour nos élèves, pour leurs parents.
Je n’ai pas envie de vous dire que depuis une semaine, c’est compliqué pour ma santé mentale. Parce que je sais très bien qu’il y a des gens, qui gagnent moins d’argent que moi, qui se retrouvent en première ligne, alors qu’ils et elles rêvent de rester chez eux pour ne pas prendre de risques. Je pense à tous les personnels dans les magasins d’alimentation, je pense à tous les personnels dans un hôpital, de ceux et celles qui soignent à celles et ceux qui nettoient et qui accueillent. Je pense à ceux et celles qui se lèvent tôt le matin, encore, pour faire un travail utile, qui permettra à des gens comme moi de rester à la maison.
Mais derrière la culpabilité de celle qui connait la réalité, il y a une colère monstrueuse, qui monte, qui monte, qui monte.
Je suis en colère contre le gouvernement, je suis en colère contre ce gouvernent. Je ne comprends pas comment ils ont pu se dire que tout allait bien se passer, alors que la Chine était en pleine expansion de l’épidémie. Mais ils ont loupé le cours de Quatrième sur la mondialisation ? Et le cours de Cinquième sur les pandémies ? (D’ailleurs je ris, mais je ris tellement quand je vois le programme et qu’on nous demande de dire que les pays européens s’en sortent mieux que les autres… )
Je suis en colère contre ce gouvernement, de ne pas sortir l’argent qui est attendu par les médecins et de compter, COMME TOUJOURS, sur le dévouement de ses fonctionnaires, de ses soignants…
COMME TOUJOURS, on espère que les individus vont suivre, on les responsabilise, on les culpabilise. Mais, ils n’ont pas le choix, eux qui prennent les transports, eux qui se savonnent les mains douze fois par jour, eux qui ne lisent pas les témoignages de ceux et celles qui meurent pour ne pas péter plus un plomb.
COMME TOUJOURS, la communication est moisie, passant d’ordres à contre ordre : « allez voter, mais ne sortez pas« , « restez chez vous, mais allez travailler à l’usine« , « interdisons les rassemblements, mais laissons les entreprises et les usines ouvrir (et on se retrouve à la machine à café ?) »
Et la honte de se retrouver à coudre des masques parce que l’État est un incapable. La honte de voir une levée de fond sur Facebook pour l’hôpital PUBLIC. La honte de voir une ministre ordonner aux personnes travaillant dans le BTP de continuer de travailler coûte que coûte. La honte d’entendre un ministre dire que toutes les plateformes fonctionnent pour récupérer les devoirs face à un père désespéré qui lui explique que non.
La honte, la honte, la honte et encore la honte.
Ce gouvernement est une honte, une magistrale honte.
La honte de laisser les plus riches s’en sortir, testés à tour de bras, alors qu’on n’ose même plus appeler son médecin si on se sent mal, parce qu’on n’aura pas plus de réponse. On ne saura pas si c’est la grippe ou si c’est cette grosse merde.
La honte de lire des récits de soignant.e.s qui disent que cela ne va pas, qu’ils et elles sont en train de craquer, qu’il va falloir choisir qui doit vivre ou mourir. La honte de voir qu’ils et elles sont en train de palier les défaillances d’un Etat qui était au courant et qui aurait dû agir bien avant. Et qui est incapable de bouger, comme un lapin en plein phare.
Et pendant ce temps-là à notre échelle, on continue. On continue de créer un environnement sain pour nos enfants, on continue de ne pas sortir, de se rationner parfois, de ne pas céder à une envie quelconque. On continue de ne pas voir ses proches, ses amies et amis, sa famille. On essaye de garder des règles (pas d’écran, habillé chaque jour => pour moi, c’est cuit).
On pense à tous ceux et toutes celles qui n’ont pas notre chance.
Mais on laisse la colère monter.
Parce qu’il faudra bien que la crise se termine. Et nous serons là pour rappeler la honte que nous avons eu à force de les voir comme des girouettes, suivant les vents du capitalisme et du libéralisme.
On oubliera pas que vous n’avez pas pensé à l’humain.
On sera là avec notre colère, pour vous rappeler vos hontes.