Je ne l’ai pas vu arriver.
En fait si, je l’ai vu arriver mais je pensais que ça mettrait plus de temps. Je pensais que j’avais du temps pour penser, réfléchir ce que j’avais créé. Je pensais peut-être naïvement que cela mettrait plusieurs mois à se faire connaître et que j’allais passer inaperçue au milieu de tous les comptes féministes.
Cela a mis dix jours avant de vraiment prendre. Je suis passée de 250 abonnées à 7000 puis, 15 000 et enfin 25 000 pour le réveillon. Et bonne année Madame !
Alors ça fait quoi de gérer un compte aussi gros et avec beaucoup de témoignages ?
D’un point de vue personnel, cela n’a pas changé grand chose. Enfin si, cela a changé mon quotidien mais cela n’a pas changé celle que je suis. Je suis un peu plus organisée : je prends une heure trente pour écrire les témoignages dans un planning, puis je les mets en visuel. Tout se synchronise avec mon portable et je peux publier tranquillement alors que je suis à la cantine, dans les transports ou en soirée.J’essaye de poser mon portable régulièrement et je prends beaucoup de recul. Ou du moins j’essaye de prendre du recul : ce n’est qu’un réseau social, je n’y joue pas ma vie ou ma carrière. L’erreur est possible, cela ne veut pas dire que je dois être parfaite.
Je déculpabilise aussi sur la lecture des témoignages : j’en reçois une vingtaine par jour, je ne peux pas tout lire, je ne peux pas tout trier. Alors je consacre quelques heures par ci par là à tout cela. Cela peut être frustrant pour celles qui sont de l’autre côté, mais cela me permet de mieux gérer mon temps. Parce que je reste mère, compagne et professeure.
Je fais comme je peux, avec ce que j’ai comme temps et comme ressource. Et c’est très bien comme ça.
Mon bilan au bout d’un mois et demi de « T’as pensé à …? » :
Le patriarcat a de beaux jours devant lui
Les situations que je reçois quotidiennement montrent que le système que je dénonce existe bien. Je n’en doutais pas mais parfois, il est bon de le rappeler. Je me retrouve souvent avec les mêmes phrases et les mêmes mécanismes, répétées par dix, vingt ou trente témoignages : des histoires de chaussettes, des histoires de vaisselle, d’aspirateur, de gestion du planning, de gestion des émotions. Tout, absolument tout se répète, même dans la séparation. Cela en devient étouffant.
Parfois, je me retrouve blasée face à des messages, me demandant si je vais trouver une autre situation, une autre citation. J’oublie parfois que la situation est vécue comme exceptionnelle par la femme qui est derrière son écran. Et c’est ça qui est très fort dans « T’as pensé à .. ? » : alors qu’on pensait être seule à vivre le problème des chaussettes et autres joyeusetés, on se rend compte que sa voisine, que la copine qui vit loin, que cette femme qu’on voit par la fenêtre le matin, vit EXACTEMENT la même chose.
C’est aussi terrifiant. C’est terrifiant de comprendre qu’on a toutes été socialisées de cette manière, que nous sommes peu à nous être interrogées au moment de la mise en couple sur ce qu’était une preuve d’amour. Cela nous a paru normal de tout organiser, de tout gérer. On s’est même dit que cela venait peut-être de notre caractère.
Je reste persuadée, intimement persuadée, que la preuve d’amour se fait toujours aujourd’hui par l’acte. On apprend aux femmes que être amoureuse, c’est donner. Que aimer, c’est faire pour l’autre. Je le vois de plus en plus dans les films, dans les publicités, dans les médias, dans les livres, dans les conte pour enfants. Pour les hommes, les preuves d’amour se font avant la relation, au moment de la séduction : le prince charmant qui débarque, l’homme qui prend des risques pour aller à la conquête de l’Autre ou de la reconquête. Elles se font ensuite ponctuellement, mais la norme est plus d’offrir des fleurs plutôt que de filer un coup de main pour gérer les machines à laver.
Pour être tout à fait dans la confidence : j’ai parfois pesté quand certains garçons n’étaient pas assez entreprenants envers moi en début de relation. « Mais pourquoi il ne m’écrit pas ? Pourquoi il ne m’invite pas ? Pourquoi … ? Je ne vais quand même pas faire … ?«
Et j’ai toujours prouvé mon amour en faisant. Je crois que je ne me suis jamais dit qu’on pouvait m’aimer parce que j’étais intelligente, drôle et pas trop mal. J’ai compris depuis cette année que je pouvais être aimée juste parce que j’existais, parce que j’avais des valeurs, parce que j’avais des combats qui étaient les miens et qui avaient le droit d’exister. Je découvre un nouveau monde où j’ai envie de dire ce que je pense, sans contrepartie et sans faire, ou alors juste avec plaisir. C’est libérateur.
Cela m’a retiré un énorme poids, qui me culpabilisait quand je faisais mal, ou pas assez, selon moi. Cela m’a permis de me réaliser et de me sentir moi. Cela m’a permis de retirer les interdits que je pouvais avoir.
Quoiqu’il en soit, on voit bien comment les mécanismes de domination sont mis en place depuis l’enfance, pour faire entrer chaque individu dans un rôle qui l’emprisonne. Certains peuvent vivre avec toute leur vie sans remettre en cause ces rôles, mais je sens que de plus en plus d’individus s’interrogent. Et c’est une excellente chose.
Les « merci » et les mots d’encouragement
Chaque jour, je reçois des messages positifs : des encouragements, des « merci » et des « grâce à ce compte, je me sens moins seule« . C’est une très grande source de valorisation pour moi. C’est exactement ce que je voulais faire depuis des années : réussir à aider les femmes, concrètement, à prendre conscience qu’elles sont dans une société inégalitaire, jusque dans leur lit. Les hommes ne sont pas des ennemis à abattre, mais ils portent en eux une éducation qui leur expliquent qu’ils ont des privilèges et qu’ils dominent. Ce n’est pas explicite bien-sûr, mais cela reste ancrée dans ce que les agents de la société produisent. Il est donc important de se déconstruire, chacun de son côté. J’analyse qui je suis, mes actes, d’où ils viennent, pourquoi je fais ça comme cela, alors que ça me rend malheureuse. Le compagnon doit aussi comprendre ses propres mécanismes. Cela demande un peu d’humilité et de recul, mais c’est tout à fait possible.
Les commentaires négatifs et les donneurs de leçons.
En me lançant dans « T’as pensé à … ?« , j’avais surtout peur des masculinistes, de ces hommes qui remettent en cause chaque initiative féministe et qui ne veulent aucun changement dans une société où ils ont le pouvoir. J’en ai eu quelques uns : quelques messages m’expliquant que c’était un combat des années 1950 (LAULE) et que je devais me tourner vers les vrais problèmes de la société, avec une liste qui accompagne, si jamais je ne savais pas quoi faire.
Et finalement, l’ennemi est arrivé par l’individualisme. Je ne m’y attendais pas spécialement, parce que ma manière de penser est très globale. Par mes études d’histoire, par mes lectures sociologiques, par mes conversations avec mon mari sociologue, cela me parait normal qu’un individu ne soit pas libre de tous ces choix et que la structure de la société pèsent forcément. Alors quand j’ai commencé à voir « mais quitte le !!!« , ou « mais c’est quoi ces nanas ??? Elles le choisissent !« , il a fallu que j’apprenne à être plus pédagogique. Et patiente. P.a.t.i.e.n.t.e.
Bon parfois, cela ne sert à rien et les débats peuvent être assez forts. Mais j’avoue que je ne prends pas part au débat, car les abonnées sont très pédagogiques et bienveillantes. C’est aussi ça la force de ce groupe.
Je n’en tire que des expériences positives pour l’instant et j’espère que cela va continuer.
Mais ce qui est sûr, c’est que « Tas pensé à .. ? » est en train de m’emmener sur une bien belle aventure avec de très nombreux projets et la réalisation de jolis rêves. J’ai hâte de connaître la suite.
J’ai hâte d’aller botter le cul du patriarcat.