Devenir mère, mais en silence

J’en ai eu des choses à vous dire ces trois derniers mois mais que je ne pouvais pas vous dire, parce que vous comprenez, on ne sait jamais.

Ce qui est sûr en tout cas, c’est que je ne vais pas vous raconter ma grossesse. Enfin, je veux dire que je ne vais pas vous raconter tous mes maux de grossesse ou mes sentiments. Cela va rester dans l’ordre du privé, même si vous vous en doutez, cela va apparaître dans les lignes de mon blog. Il n’y aura ni de points « échographies » (coucou la pelvienne!), ni de points « déco de la chambre trop mignonne avec des animaux trop mignons ». Cela ne me donne pas envie, cela ne me correspond pas. Et d’ailleurs je suis une quiche en déco, j’essaye juste que cela ne soit pas trop le bordel chez moi. #fail #sanssuccès

En revanche, ce qui est sûr, c’est que je vais revenir sur les liens étroits entre féminisme et grossesse parce que là, j’en ai des choses à dire !!!!

Depuis que je suis enceinte, je suis frappée par de nombreuses situations ou remarques, qui me montrent qu’il y a encore un peu de travail à faire de ce côté là.

On parlera donc de l’injonction du silence au premier trimestre avec toutes les autres contrariétés que cela engendre.

Quand j’ai vu mon test positif, on était à quinze jours des vacances. Et si tu te souviens bien, j’ai parlé du mois de janvier plus que chaud dans mon bahut (par ici pour lire), je me suis mise à vraiment avoir peur. La violence était super forte dans les couloirs et je me suis dit que ce n’était pas trop le moment d’intervenir dans les bagarres. Mais bon, je suis au bout du couloir, donc je dois quand même gérer. Alors je l’ai dit à toute l’équipe d’histoire et surtout, on a commencé à parler de la rentrée prochaine… Où je serais donc en congés mat. Un mois de grossesse, j’ai donc annoncé.

J’ai de la chance d’avoir des collègues extras qui ont pris en charge tout le couloir pour moi et qui ont gravement assurés. (#biglove #meilleureéquipedumonde)

Mais en faisant cela, j’ai enfreint une règle tacite : celle du silence absolu jusqu’au troisième mois.

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Cette règle, on l’a mise complètement à la poubelle. On a annoncé rapidement à nos potes mon état. En même temps, je suis passée de « on sort ce soir ? » à « je pense rentrer tôt… » Ils ont été adorables et prévenants, ils savaient tous qu’on était stressés, et on n’avait pas envie de leur cacher les états émotionnels par lesquels on passait.

Et puis, j’ai été très malade.

Disons que je ne pouvais plus faire cours dans l’état que j’étais.

Si j’avais été libre de mes mouvements dans un bureau, je pense que j’aurais pu à peu près gérer. Mais là, je me suis retrouvée debout pendant cinq ou six heures, devant des collégiens, sans vraiment de pause et toujours en train de rappeler les règles. J’ai fait une semaine de cours, j’étais épuisée et je redoutais profondément mes journées de travail. Je n’étais pas bienveillante avec mes élèves, je m’énervais vite et j’avais super mal au ventre. Et je pleurais tous les soirs.

Quand j’ai vomi par la fenêtre de ma classe entre deux cours, j’ai compris que je devais m’arrêter.

Sur six semaines de cours, j’ai été présente seulement trois et je m’en suis beaucoup voulu. Il a fallu aussi que je me fasse remplacer dans tous les conseils où je siégeais (CA, conseil de discipline… ) et ça aussi, ne pas dire que j’étais enceinte, c’était impossible. Il fallait que j’explique, que je puisse partir rapidement du collège si ça n’allait pas.

J’ai donc prévenu mon employeur à deux mois de grossesse, ainsi que ma CPE.

Et puis quand on me demandait pourquoi j’étais absente, je répondais sincèrement « je suis en début de grossesse« . Les gens ont toujours été surpris que je réponde si franchement. Je suis partie du principe que si je faisais une fausse couche, je serais absente un petit bout de temps et qu’ils seront tout aussi bienveillants.

Les conditions dans lesquelles je suis, sont tout à fait exceptionnelles. Je ne l’aurais pas fait l’année dernière avec une équipe très loin de… tout.

Qu’est-ce que ces expériences m’ont apporté comme réflexions ?

Tout d’abord, la chape de plomb des trois mois est tout de même terrible et parfois même vexante. J’ai eu plusieurs réflexions du style « mais ça veut dire que tu as dépassé les trois mois ? Mais c’est pas un peu tôt pour l’annoncer ? Mais je dois te dire félicitations ?« . On s’en fout un peu, ce qui compte, c’est que tu comprennes pourquoi en ce moment je suis moins présente et moins patiente. Je ne l’ai pas dit parce que je me réjouis (j’ai encore du mal à me dire enceinte), je te le dis pour t’expliquer pourquoi je pars en plein milieu de la conversation pour vomir mes tripes.

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Pendant longtemps, j’ai cru que cette barre des trois mois était dû aux risques de fausse couche. C’est sûr qu’après 12 semaines de grossesse les risques sont réduits, mais ils continuent tout de même.

Et puis en parlant autour de moi de cette fameuse barre, je me suis rendue compte qu’elle avait un autre effet : cacher.

Cacher les effets d’une grossesse, taire les maux, taire les mots et les angoisses d’une future mère, ne surtout pas compatir, c’est normal, tu as choisi ton état. Et là, ça me dérange beaucoup plus.

Nous sommes beaucoup à énormément souffrir en début de grossesse. Comme une guerrière, tu échanges des conseils pour éviter de vomir en public, pour éviter d’avoir la nausée quand ton patron pue-du-bec te parle. on s’échange aussi des anecdotes : « ouais moi j’ai vomi dans mon collège » « ah ouais ? moi c’était dans la rue !«  , »et moi dans le métro ! »

Sauf que taire les maux, c’est aussi les multiplier.

On se demande si on est normale, si cela va s’arrêter un jour (je te rassure la réponse est OUI !), si le coeur bat toujours, et si… Et si…

Des angoisses naturelles mais qui doivent être partagées pour ne pas être amplifiées. Quand tu es face au silence de ton entourage et que tu ne peux pas partager, tu as tendance à vite te monter la tête.

Et puis cacher ces maux de grossesse alors que tu dois déjà gérer un corps inconnu que tu connaissais pourtant super bien depuis 20/25/30/35 ans, c’est aussi ultra fatiguant. J’admire celles qui font semblant que tout va bien, qui s’enferment dans les toilettes pour pleurer et qui repartent dans leur open-space comme si de rien n’était. J’admire aussi celles qui restent debout, toute la journée, qui soignent, enseignent et qui serrent les dents.

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Et si tu vas plus loin dans le raisonnement, cacher les trois premiers mois, oui pourquoi pas, mais quand on apprend une mauvaise nouvelle, en général, on ne s’en remet pas comme ça. Enfin moi, j’ai mis plusieurs mois (neuf pour être exacte….) à ne plus vraiment y penser. Et au début, j’étais vraiment très mal, je pleurais entre deux cours. Mes collègues de l’époque s’en fichaient un peu royalement (sauf toi qui me lis, je le sais <3 ) et je n’arrivais plus à faire face au travail. Un sourire, du réconfort, m’auraient sûrement donné envie de tenir, de m’accrocher, de me dire que j’étais quand même utile quelque part, que je ne loupais pas toute ma vie.

Bien-sûr que nous ne sommes pas toutes égales sur les débuts de grossesse, certaines n’ont aucun problème, aucune nausée, aucun désagrément, et c’est tant mieux pour elles. Mais quand tu souffres, tu ne souffres pas une semaine… Mais deux mois et demi. Pour ma part, ça était long, très long, très très long, trop long, surtout quand tu les passes dans ton lit avec ton meilleur ami, ce putain de seau bleu.

Qu’est-ce que je peux en conclure ? Je pense sincèrement que cette barre des trois mois est le résultat d’un patriarcat puissant qui pèse lourdement sur la femme pendant la grossesse. Ce silence a trois effets direct :

  1. faire taire les femmes sur leurs maux de grossesse : « En même temps, tu l’as bien cherché Germaine, tu n’avais qu’à pas... » #kapas
  2. enfermer les couples dans des interrogations stériles que le corps médical doit gérer par un « Ouais c’est normal, vous n’aviez qu’à pas… » #kapas
  3. en cas de problème, enfermer les couples et notamment les femmes dans une tristesse et une culpabilité qui n’aide pas à rebondir « Ouais mais en même temps, ça arrive tout le temps t’as qu’à…. » #taka

Et comme toutes les règles, parfois, il est bon de les réinterroger.

D’ailleurs si quelqu’un sait à partir de quand on a instauré ce truc des trois mois, je suis preneuse. Impossible de le savoir, même si je me doute, que ça doit être entre les années 1970 et 1990…