Est-ce que tous les hommes sont des violeurs ?

[Dans cet article, nous allons parler violences sexuelles et viols. Il peut donc te rappeler des souvenirs… ]

Mercredi dernier, assise dans mon canapé, alors que je tente de me remettre d’un énorme coup de fatigue, la question est tombée comme ça : « et toi, tu penses que tous les hommes sont des violeurs ? « 

C’était de la part d’un homme.

Sur le moment, j’ai été prise un peu au dépourvue. Pour tout vous dire, j’ai répondu directement « oui. » Sans réfléchir. Sans sourciller. Sans reposer le livre que j’avais pour essayer de me détendre. J’ai dit « oui. »

La personne en face de moi a semblé être choquée. J’avais dit oui. Elle était aussi concernée : elle était un homme. Elle n’a pas osé me dire « not all men », parce qu’elle sait très bien que ça ne sert à rien de lever les bras en grand et de me dire « mais enfin Coline ! Pas…. » et d’ajouter des prénoms de potes… Parce que je n’y crois pas. Ou plus.

Alors j’ai rajouté d’une voix certaine : « s’ils n’ont pas violé, ils sont tous complices d’agressions…. Ils sont complices. »

J’ai senti un malaise.

Cette conversation a duré dans ma tête un certain moment. Et vu que je paye quelqu’un maintenant pour écouter mes problèmes de couples, de daronne et de reste, j’ai dû en parler à ma psy.

La question est très sensible pour être honnête. Elle est reliée directement à mon engagement féministe et à la réappropriation de mon corps.

J’ai en effet compris que j’avais subi un viol, juste après mon accouchement, au moment où #metoo explosait, en octobre 2017. Je n’avais jamais dit le mot viol quand je parlais de cette épisode. (J’ai écrit un article qui se nomme « un mec normal« , parce que j’en avais marre de lire que c’était exceptionnel et gnagnagna…. )

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Et puis j’étais passée à autre chose.

Et là, c’est revenu.

Sauf que j’en avais plus d’un. J’avais plusieurs agressions sexuelles, plusieurs viols où mon consentement n’avait jamais été clair, plusieurs fois où je suis sortie de mon corps et où je n’avais pas réussi à stopper la machine.

On m’a tellement appris que si je chauffais un garçon, je devais aller plus loin, parce que sinon j’étais une dégonflée, ou une allumeuse, que je me suis retrouvée prise au piège.

Et ça, on est toutes et tous complices.

Je me souviens de mon adolescence. Quand les mecs riaient parce qu’une fille ne voulait pas coucher. Ou quand elle avait couché. Et puis ça a continué. A la fac. Au travail. Je les vois ces bandes de mecs en soirée, qui se demandent laquelle va céder. J’ai ceux qui font ça discrètement, qui se disent qu’ils sont des mecs biens. Mais qui n’interviennent pas quand ils voient une situation à risque (d’ailleurs on intervient en disant « ‘est-ce que tu veux de l’aide ? » et pas comme un chevalier… )

Je les revois ces mecs, qui continuent dans les transports en commun à lever les yeux au ciel si une femme accuse un homme de se frotter contre elle. Je les vois tous ceux qui se taisent, qui passent à autre chose, tous ceux qui rentrent tranquillement dans leurs maisons la conscience tranquille d’être du bon côté de la barrière. Mais qui continuent de ricaner sur Micheline, qui s’est peut-être tapé Jean Michel, parce qu’on le sait bien « elle est chaude« . Ils rigolent à la machine à café pour savoir quelle position elle aime.

En fait, pour continuer dans l’introspection, tous les mecs avec qui j’ai eu un rapport non consenti ne doivent même pas le savoir. Ils doivent penser qu’on a couché ensemble et que c’était beauf, et que j’étais pas à fond. Ils doivent se dire en lisant ces lignes « mais non, ce n’est pas moi…. Moi je suis un mec bien. »

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C’est ça le soucis aujourd’hui.

Aujourd’hui, dans mes amies, beaucoup ont subi des agressions sexuelles. On s’imagine toujours que c’est un mec peu éduqué, ou alcoolisé, ou… Mais personne ne se dit que c’est le mec d’à côté. Personne ne se dit que peut-être son meilleur pote a déjà eu un comportement de prédateur. Sauf que ça peut être le cas.

J’ai été plusieurs fois totalement médusée par le comportement des hommes dans les lieux de fête. J’ai encore eu un exemple il y a quelques semaines. J’ai été recalé d’un lieu vers République car j’étais trop vieille (pour de vrai..). Je me suis retrouvé dans un bar pas top, mais ouvert avec de la musique. Tout de suite, j’ai dit à la personne avec moi : « tu ne me quittes pas…« . Cela n’a pas loupé. En cinq minutes, j’avais un mec qui se frottait à moi, en dix, deux qui tentaient de m’embrasser. En quinze, j’étais une salope froide et pas drôle.

Bien-sûr qu’autour de moi, il y a des hommes « biens », qui savent dire que « oui j’ai eu un comportement à la con ce soir-là« . Ce sont ceux avec qui je partage le plus. Mais ils ont quand même eu un comportement à la con à ce moment-là.

On commencera à avancer dans l’égalité le jour où les types « biens » commenceront leurs introspections. Celle où on essaye de savoir si on a toujours respecté le consentement, celle où on n’a pas levé les yeux au ciel quand une femme nous raconte qu’elle se sent mal dans les transports, celle où on arrêtera de se dire que le mal est l’Autre, alors qu’il est peut-être dans le miroir tous les matins. Ce n’est jamais agréable d’être celui qui a joué le mauvais rôle, mais ça sera un bon début pour comprendre leur part de responsabilité dans les agressions quotidiennes.

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Et franchement, on commencera à sortir des ronces quand ils commenceront à nous en parler, un mercredi soir, alors qu’on tente de lire un livre, un samedi matin, autour d’un café, un dimanche soir, après un film. On commencera à sortir des ronces quand ils commenceront à s’en parler entre eux, et que chacun comprendra que peut-être que ce soir-là ils auraient pu intervenir quand leur pote a coincé contre le mur cette jeune femme dans une boîte de nuit étrangère. On commencera à sortir des ronces quand ils commenceront à se parler, à se dire, à nommer, à reconnaître qu’ils ont tous été complices à un moment ou un autre, et que oui, ça fait mal, mais ça fait du bien à celles qui sont en face, qui ont vécu avec le silence, qui ont vécu avec la honte et qui ont même vécu en mettant ces épisodes le plus loin d’elles, ne pensant pas que cela pourrait ressortir un soir d’été sur une terrasse, ou un matin de novembre brumeux.

Alors au lieu de s’offusquer sur le « tous complices », offusquons nous de savoir que ces hommes refusent le dialogue sur les agressions sexuelles et/ou sur le viols, pour sauver leurs égos. Offusquons nous qu’ils ne regardent pas où ils en sont dans leur quotidien. Mais arrêtons de sauver les égos.

On donnera les médailles le jour où on commencera à avoir des hommes qui parleront de leurs rapport au consentement et à l’Autre.