Depuis maintenant presque deux ans, je suis sur les réseaux sociaux comme une forcenée. Mon portable est greffé dans ma main, mon mec se demande parfois si je ne fuis pas sa conversation en parlant avec mes copines du net, je suis sur Facebook, Gmail et Instagram et depuis peu, sur Twitter. La Folie comme on dit . La folie de la connexion.
Je ne viendrais pas ici vous parler de ma dépendance, même si elle est réelle. Quand on ne peut pas se passer de son doudou plus d’une journée, c’est qu’au fond il y a un problème. Mettons de côté ce problème pour revenir à ce qui me tient fortement à cœur : la dépolitisation réelle de l’Internet féminin depuis quelques temps. Pour ne pas dire depuis toujours.
Quand je parle d’Internet féminin, je parle de blog dont le lectorat est essentiel composé de femmes et dont les rédacteurs sont avant tout des rédactrices. Je parle aussi des réseaux sociaux qui mettent en relation les femmes qui ont ces blogs : cela va de Hellocoton en passant par Instagram. Avoue, tu vois plus de femmes sur IG que sur Twitter. Cela ne veut pas dire que les hommes n’existent pas sur ces réseaux sociaux, non, souvent ils sont là, mais les femmes restent majoritaires. Surtout sur Hellocoton.
Loin de moi l’idée de tout critiquer, mais cette réflexion tourne en moi depuis plusieurs mois et je voudrais t’en faire part, pour que nous puissions ensemble réfléchir à cette anesthésie politique des blogs féminins.
Du monde merveilleux des licornes et des paillettes…
Quand j’ai commencé à écrire pour Mademoiselle Dentelle en décembre 2013, je ne savais pas trop où je mettais les pieds. J’y ai en fait intégré une équipe de chroniqueuses vraiment très sympas et avec qui je pouvais parler mariage pendant des heures sans tuer mon mec et mon entourage. J’y ai donné beaucoup, j’y ai reçu autant. De fil en aiguille, j’ai intégré d’autres cercles, j’ai rencontré d’autres blogueuses, j’ai voulu ouvrir mon propre blog, tout réunir sous une même identité virtuelle.
Ce qui m’a plu dans toutes ces rencontres ? La bienveillance, l’écoute, l’envie de partager. Des valeurs et des traits de caractères qui me correspondent. Des valeurs dans notre société que je pensais un peu perdu.
J’ai intégré Instagram le 26 mars 2014. J’ai créé mon blog en octobre 2014 et rejoins Hellocoton dans la foulée.
J’ai trouvé cela fascinant. D’abord de voir que des gens (pardon des femmes) pouvaient s’intéresser à ma vie en photo. J’ai eu rapidement 50, puis 100 followers. De la folie pour moi. Je faisais attention à ce que je partageais. Je montrais mes plats, mes voyages, mes délires avec Grumpf, mes chats, l’animal de prédilection de la blogueuse. Je montrais parfois ma classe, mon travail, mais j’avais beaucoup moins de « j’aime ». Alors je me suis concentrée sur les petites choses que faisaient ma vie. Parce que finalement c’était cela la vie : la bouffe, les chats, l’amour, les produits de beauté, les tulipes de mon jardin, mes chats, surtout mes chats.
J’aime bien qu’on me dise que j’ai une jolie robe, que j’ai l’air d’avoir maigri ou que j’ai l’air rayonnante. Parce que, oui, ça fait plaisir et que c’est rare quand des inconnus vous le disent réellement dans la rue.
Ces compliments, c’est un peu l’apothéose du monde des licornes et des paillettes, où le caca n’existe pas, où ton banquier ne t’appelle pas pour un découvert, où personne ne sait que tu viens de faire une fausse couche. Ce sont des moments bonus. C’est franchement cool, et j’adore moi-même faire ces compliments.
Mais derrière tout cela, cela manque de liant. Cela semble super artificiel, alors que c’est très sincère.
… A la question de la dépolitisation de notre société
Le 9 décembre 2015, j’ai posté sur IG une photo politique. Et j’ai donc transgressé une règle tacite.
J’ai fait une capture d’écran du programme politique du Front National (dont je ne partage pas les idées, tu l’auras compris j’espère… ). Pas n’importe quelle partie de leur programme : leur programme concernant l’éducation. On était au moment des régionales, quinze jours après les attentats, j’étais un peu à fleur de peau, j’en ai eu marre des compliments, j’ai eu envie de débattre. J’en ai eu marre de parler de mes chats, de ma cuisine, de la peine que j’avais. J’ai eu envie de dire que « merde, fais chier, pourquoi la France part en couille« . J’ai eu 5 « j’aime » alors que j’ai l’habitude de tourner entre 25 et 40 (soyons fous ça m’est arrivé une fois… ). En fin bon, d’habitude je fais au moins 11. Même avec une photo moche et un commentaire pourri du type « Il neige », j’ai au moins 11 « j’aime ». Et là, 5. Et un petit débat avec deux personnes adorables avec un échange de quelques commentaires. C’est tout.
Alors que tout le monde postait des photos dans l’isoloir, en mode « il faut aller voter, regardez ma manucure » (j’exagère à peine… ), pas une photo des résultats, pas un commentaire sur le FN au deuxième tour, pas une seule putain de photo disant que quand même ça craignait sévèrement.
Et je ne me suis pas arrêtée à cela.
J’ai commencé un peu à fouiller. Dans les photos de mes contacts (pardon à vous) et aussi sur Hellocoton. J’ai commencé à regarder les catégories dans ce grand incubateur de blogs.
Les notes « politiques » se trouvent dans « Humeurs ». Je pourrais longuement disserter de cette catégorie, comme si une idée politique était une « humeur ». Et pour votre culture générale, à l’époque médiévale et moderne, on disait que les femmes étaient instables parce qu’elles avaient un trop plein d’humeurs, c’est pourquoi elles avaient leurs règles… Autant vous dire que la catégorie « Humeurs » me fait bien rire.
Et d’ailleurs regardons des capture qui date du 25 et 26 avril 2016 dans la sélection :
On ne voit que des sélections dans des domaines féminins. Les articles de « société » ou carrément de « politique » sont quasiment absents.
Est-ce que c’est la faute de Hellocoton ? Ou d’Instagram ? Je ne pense pas, surtout pour le premier.
Hellocoton référence des blogs et se veut donc caisse de reconnaissance des tendances blogs. Si Hellocoton n’a pas encore mis de catégories « politique », c’est tout simplement parce que les articles sont très peu nombreux. Si on ne trouve pas de réactions face aux photos « politiques » sur IG, c’est parce que personne ne le fait et que personne ne réagit.
Les blogs commencent à ressembler à notre société : une totale dépolitisation pour plus de consensus (et donc de « j’aime »… ).
Une solution : parler politique régulièrement sur nos blogs.
Cela ne veut pas dire que c’est mal de parler de robes, de vernis, d’enfants ou de mariage. Non, c’est plutôt une bonne chose, parce que cela montre que les femmes sont multiples. Je ne remercierais jamais assez les blogueuses mode qui sont au delà du 44 pour nous montrer que c’est possible d’avoir du style même en « grande taille » selon certaines enseignes. Je ne remercierais jamais assez les chroniqueuses de Mademoiselle Dentelle ne nous démontrer qu’on peut se marier autrement. Mais la ligne éditoriale de ces deux blogs est politique : démontrer que la société est multiple et que tout est possible.
En revanche, je m’interroge totalement sur le vide réel des articles sur la politique : pas forcément sur Jean François Copé, et peut-être encore moins sur François Hollande, mais peut-être des articles sur notre vision personnelle de l’Europe, sur l’économie, sur les migrants, sur le racisme ambiant, sur nos engagements associatifs, politiques, sur notre participation à « Nuit Debout ». Et puis tant pis si on n’est pas d’accord, si on ne pense pas pareil, tant que tu respectes tous les êtres humains et que tu as un propos construit, ou du moins un minimum construit. Grumpf me disait, il y a peu, que la sociologie, c’était partir d’expériences personnelles pour essayer de savoir si cela se répétait à l’infini.
Et si c’était cela aussi le blogging ? Si c’était partir d’expériences personnelles pour essayer de construire autrement : une société plus juste, une société plus en phase.
Tu ne t’es jamais dit que si la société ressemblait aux supers copines qu’on se fait sur Internet, ça vaudrait vraiment le coup pour la suite. Cela vaudrait le coup de parler politique, ça vaudrait le coup de dire son opinion, parce que même si on n’est pas d’accord, on n’a quand même les mêmes emmerdes et parfois les mêmes préoccupations.
C’est en parlant de nos avis politiques, en montrant qu’on ne pense que à la dernière robe de chez Bidule, que le regard sur les femmes pourra petit à petit changer. C’est en utilisant ta plume, ton art, tes qualités, que tu peux démontrer que les femmes sont bien plus qu’une catégorie « Humeur ». C’est en changeant le blogging que le changement pourra se faire.
La preuve en est : Hellocoton parle de harcèlement de rue parce que les blogs en parlent ! Et je vous en remercie
C’est peut-être utopiste, c’est peut-être même complétement à côté de la plaque, mais c’est quelque chose que j’aimerais voir plus régulièrement dans les blogs. Oui j’ai envie de lire de notes plus engagées, de femmes différentes de moi : de femmes qui viennent d’avoir 20 ans, de femmes qui sont proches de 50, de femmes noires, de femmes voilées (ou même les deux), j’ai envie de lire des récits sur les engagements associatifs, sur ton boulot formidable, sur tes galères pour justement en trouver un de boulot et les solutions que tu as mise en place, j’ai envie de savoir si tu as déjà fait grève, si tu es déjà allée à une manifestation, et puis si tu votes et pourquoi tu votes pas. Ouais, j’ai envie de tout cela, parce qu’on est bien plus que du vernis, des robes, des voyages ou une mère de famille. Parce que même si tu n’as pas fait d’études, tu as une opinion, tu as un domaine d’expertise.
Notes personnelles :
- Par pitié, Hellocoton, arrêtez avec ce rose. Merci
- Si un chercheur veut travailler sur ces faits, je veux bien l’aider.