TW : Dans cet article, on parle viol et agressions sexuelles.
J’aurais voulu vous faire un bilan. Surtout que vous le savez, mon anniversaire est début janvier. Donc faire le bilan d’une année, c’est faire le bilan de mon année. Mais je n’y arrive pas.
J’aurais pu partir, comme cela m’arrive en ce moment, sur l’amour, le besoin d’amour pour soi et pour les autres. Mais, je vais devenir un vieux chamallow coulant si je me lance là-dedans.
Pour être honnête, cette fin d’année a un fond de violences sexuelles et de viol. Je sens que le sujet n’est pas clos dans mon histoire personnelle, il revient comme un boomerang. Je viens aussi de me rendre compte que je n’en avais pas spécialement parlé à ma psy, concentrée sur les problèmes du moment et sur mon bien-être actuel.
Le sujet est revenu car j’ai appris le viol d’une connaissance par une autre connaissance. Le sujet est revenu parce que des proches se sont confiées à moi sur leurs viols. Le sujet est revenu car j’ai écouté « Violé.es : une histoire de domination » de Clémence Allezard, que je vous recommande.
Quand on parle viol, quand on ME parle de viol et d’agressions sexuelles, il y a toujours en moi les souvenirs. J’aimerais les retirer, j’aimerais ne plus voir cette pièce, j’aimerais ne plus sentir le souffle. Mais c’est toujours là quinze ans plus tard.
J’avais raconté mon viol dans cet article, au moment de MeToo, un mois après mon accouchement, parce que, les souvenirs, ça vous prend comme ça, dans une rue, dans une fête ou alors que vous donnez le sein à votre môme.
Est-ce que j’ai porté plainte depuis ? Non.
Est-ce que je me sens plus forte et transformée ? Oui.
J’ai fait un inventaire de toutes les agressions sexuelles que j’ai subies dans ma vie sexuelle, avant de rencontrer le père de mon fils en 2010. Soit à peu près six ans de vie sexuelle. J’ai essayé de comprendre mes gestes, mes tenues… Vous sentez le malaise hein ? Je me demandais si c’était moi la fautive.
Il faut dire qu’on a tous mis en place pour que je le pense.
En ce moment, je suis dans une introspection profonde concernant le lycée. Je suis à la recherche de mes carnets d’écriture, j’ai besoin de remettre en place des souvenirs. J’essaye de refaire une chronologie de la misogynie ambiante. Des réactions de chacun et chacune face à la découverte de ma sexualité.
J’essaye de me souvenir du moment où j’ai compris que j’aimais bien les filles. De mon premier flirt. Des conversations entre copines. De ce qui définissaient la « salope » des autres. Je me souviens aussi de comment je suis passée de la bonne copine à la « salope ». Je vois exactement de quand ça a basculé et des conséquences immédiates sur mon quotidien.
De la confession de ce pauvre type qui m’explique qu’il a fait un site internet en mettant ma tête sur des actrices pornos.
De quand ces pauvres types de merde ont refusé que je rentre dans une soirée du nouvel an parce que j’étais une salope. Je les vois encore ces deux sacs à merde me regarder super sérieusement en m’expliquant que j’étais une salope. Je me souviens aussi de cette conversation surréaliste où on m’a expliqué que tout ce que je faisais, c’était trop. Trop de politique, trop d’amours, trop de sexe, trop. Dans ce café. Par des copines.
Tu m’étonnes que j’ai mis des années à ne pas penser que c’était ma tenue, mon sourire, mon envie de danser librement.
Moi, je me souviens surtout de ma solitude.
Mon viol s’est déroulé pendant les années lycée. J’en ai parlé qu’à une personne à l’époque. Pour ne pas repasser encore pour la salope du coin.
J’ai mis plusieurs années à pouvoir en reparler. Déjà au père de mon fils. Je ne me souviens pas l’avoir dit aux autres. Je sais pourquoi je ne l’ai pas dit aux autres : parce que je pensais que ce n’était pas un viol.
Et je ne pensais pas que c’était un viol ,parce que j’ai cru que c’était de ma faute.
Quand j’entends des mecs m’expliquer que eux, ils n’ont jamais violé et que c’est rare, je boue intérieurement. Déjà parce que les mecs bien, je les connais, c’est mon violeur. Puis parce que les histoires sortent et on se rend compte que ce mec si sympa, si doux, a violé une femme, un soir. Déjà deux cas dans mon entourage.
Et c’est exactement cela la culture du viol :
- Créer une hiérarchie entre les femmes : entre celles qui se respectent et les autres
- Rejeter celles qu’on pense ne pas être digne et leur faire comprendre : utiliser les mécanismes du groupe pour cela (on évite d’inviter en soirée, on utilise des rumeurs … )
- Créer une hiérarchie de la bonne/mauvaise victime et du bon/mauvais violeur. J’étais la mauvaise victime (libre, à l’aise avec mon corps, assumant… ) et le bon violeur (mec lambda, sympa, bien intégré et sûrement un excellent père de famille )
- Continuer d’entretenir la concurrence entre les femmes : celle qui est bonne et les autres, celle qui est sympa et les autres, celle qui est baisable et les autres.
- Participer à cette concurrence entre femmes pour sentir qu’on a une place dans le groupe.
Si tu as déjà une de ces réflexes : non ce n’est pas ton caractère, non ce n’est pas ta manière de fonctionner en tant que « vrai bonhomme ». T’es juste misogyne. Et tu entretiens la culture du viol.
Alors ouais, tu ne m’as pas violée, mais t’as largement participé à ce que je ne puisse pas me reconstruire. T’es une de ces personnes que je suis contente de ne plus fréquenter, t’es au degrés zéro de l’empathie, toi et ta bande de potes, que tu penses éternelle. Tu mets en hiérarchie en permanence les individus, tant que tu restes au centre de tout cela.
Le problème, c’est que dès comme toi, il y en a bien plus que ce que je crois. C’est ceux qui se congratulent tard le soir, d’être des mecs bien sans jamais rien changer depuis des années. Je le sais hein, je vous connais.
Ce qui est sûr, c’est que je ne laisserai plus passer et surtout.
Je n’oublie pas.
Jamais.
Et bonne année à vous.