Je voudrais retrouver mon mojo

J’ai repris le travail depuis un mois.

J’ai retrouvé ma classe, j’ai retrouvé mon bureau et mon ordinateur. J’ai retrouvé mon casier, mes collègues chéris d’amour et j’ai bien imprimé mon emploi du temps. J’avais des nouveaux stylos et un nouvel agenda. J’avais un peu peur parce que je reprenais des 6èmes, ce que je n’avais pas fait depuis… Quatre ans. Mais bon, j’avais trois classes de 3èmes dont mes anciens 4èmes chouchou d’amour, cœur avec les doigts. (Ouais je suis jeune et rebelle, je fais des cœurs avec les doigts).

Et en fait non .

En fait je suis en train de me prendre la plus grosse claque de toute ma vie professionnelle.

En fait mon métier est usant, fatiguant et j’ai perdu les ficelles.

En fait je dois travailler comme si j’étais une débutante, je n’ai plus de patience, je ne comprends pas pourquoi ils réagissent ainsi et j’ai très envie de m’énerver très très très fort. Pour ne pas dire que parfois je me sens démunie.

J’ai laissé mon métier derrière moi pendant six mois, je me suis reposée, jusqu’à la naissance de mon fils. Et puis j’ai appris à vivre avec ce petit être, j’ai encaissé mon accouchement, j’ai pris les nuits en pleine face. Mais non, ce qui m’a arrêté, c’est la reprise du travail.

Il a déjà fallu se faire aux microbes. Cela faisait trois ans que je n’avais pas été malade. Première semaine PAF ! Salut la gastro ! Ensuite il a fallu dompter le stress. Comme je n’y arrivais pas, PAF ! La sciatique qui se réveille.

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J’ai dû reprendre ma grosse voix et les « donne moi ton carnet« , qui étaient super loin dans ma tête. J’ai dû faire les gros yeux et m’énerver pour avoir un semblant de calme. C’est là où j’ai su que je l’avais perdu. Mon précieux mojo. Ma foi. Ma flamme. Ma vocation si vous voulez. Ce truc qui me fait vibrer, qui fait que chaque jour, j’y crois un peu plus. Et même si c’est dur, j’y retourne le lendemain en me disant que c’est possible. J’y vais pour me dire que oui, je leur apporte un truc, que je leur apprends un petit truc, qu’ils vont connaître un détail de l’histoire de France, qu’ils pourront eux-aussi raconter à leurs enfants. C’est ça mon métier. C’est à ça que je m’accroche depuis que je suis prof. C’est à cette adrénaline, c’est à ce shoot de faire toujours au mieux pour tous, c’est de se dire que je transmets des méthodes, une manière de réfléchir, des faits qui me font aimer le monde, ou qui font que je le déteste. Mais oui, je transmets mes connaissances.

Et là, plus rien. Un vide intersidéral. Une envie de tout plaquer, une envie d’aller m’installer en Auvergne pour élever des chèvres, une envie de ne plus les entendre crier, une envie de lui faire manger son quatre couleurs que non, une fois pour toutes, je ne sais pas où il est et je ne vais pas faire d’annonce ! Juste envie de calme. Juste envie de ne pas connaître l’histoire de cette gamine, qui n’a plus de parents, qui n’a plus rien, sauf le collège. Je n’ai pas envie d’entendre cette histoire de garde à vue, de parents qui se déchirent, de parents qui n’ont plus rien. Je veux être loin de la misère sociale, je veux être loin de tout. Je veux être loin de « mais si Madame je vous jure » et des « mais non c’est lui ! N’appelez pas mes parents !« . C’est usant. C’est fatiguant. C’est une énergie monstre.

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Et puis, avant-hier, je l’ai revu. J’ai fait un cours sur lequel j’étais à l’aise et c’est revenu. J’avais bien travaillé, je savais vers où j’allais et je me suis sentie revenir. J’ai senti que j’étais contente d’être là, au moins avec les 3èmes. Je me suis sentie à nouveau à ma place. Il aura fallu cinq semaines pour retrouver un début d’étincelle.

Ce n’est pourtant pas gagné.

Je sens bien que ma lassitude est en train d’arriver. Que j’ai plus de mal à me concentrer sur les 6èmes. Je sens bien que le public me lasse. Partir de Saint-Denis ? J’y pense parfois. Mais l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Je peux aussi retrouver de la misère sociale et des élèves dissipés ailleurs. Je peux retrouver les mêmes conditions.

Et puis ce midi, je crois une mère d’une élève que j’ai eu l’année dernière. C’est une élève dont j’ai découvert la dyslexie et pour laquelle je me suis battue pour un bilan complet. La mère m’a suivie, avec toutes les difficultés qui existent dans ce parcours. Elle m’a encore remerciée et m’a dit que sa fille avait eu les encouragements au premier trimestre en seconde générale. Et puis il y a ces élèves qui sont à l’université et qui m’envoient régulièrement des nouvelles.

Je ne dois pas être trop mauvaise dans ce que je fais. Je dois juste m’accrocher et travailler bien plus pour me remettre dans le bain.

Je vais forcément y arriver.

Je vais retrouver mon mojo, mon amour pour ce métier.

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Ce billet est fait dans le cadre du projet 52 Dentelles, qui avait pour thème « amour ».