Le confinement, les médias et le travail domestique gratuit

Cela fait cinq semaines que nous sommes confiné.e.s. Pourtant mon activité ne s’est pas arrêtée, que ce soit avec le compte Instagram ou avec les cours à distance avec les élèves.

Bizarrement, le travail s’est même accéléré ces quinze derniers jours, avec presque deux entretiens par jour avec les journalistes, de différents médias, passant du podcast à la presse écrite, du quotidien au mensuel.

J’en aurais presque la nausée.

Le déclic s’est d’ailleurs fait hier, lors d’une publication de France 2 sur les réseaux sociaux. Stop.

Et puis profondément quelque chose me dérange sur cet emballement médiatique qui me conduit à préparer un discours percutant, à réutiliser des anecdotes différentes, à m’adapter au niveau du journaliste : on ne parle pas de la même manière à la presse féministe qu’à la presse généraliste, et encore moins la presse économique.

J’ai compris ce qui me gênait ce soir :

  1. le distinction entre tâches domestiques et charge mentale
  2. le côté glamour de la charge mentale
  3. la découverte de la difficulté des tâches domestique et de leurs planification
  4. les conseils que je me retrouve à donner
  5. Un manque de raisonnement politique

Je vais tenter de reprendre chacun des points pour me permettre aussi d’évoluer et de changer de stratégie.

1 – On a un gros problème : plus on avance sur la question de la charge mentale, moins les gens savent la définir. Et ce qui est encore plus frustrant, c’est que certain.e.s n’osent plus demander quand ils ne savent pas.

Moins on définit un concept, moins la stratégie est claire pour le combattre. Si on pense que tout est charge mentale, il n’y a plus d’analyse, il n’y a plus qu’un grand « c’est de la charge mentale, faut faire avec ».

Il devient urgent de revaloriser l’expression « travail domestique gratuit ». Je m’interroge forcément sur mon propre positionnement et sur mon vocabulaire. Quelle part j’ai eu dans cette confusion ?

Je me demande si TPA va évoluer, mettant la charge mentale dans une sous catégorie, au même niveau que les tâches domestiques. Car rappelons le : l’égalité sur les tâches domestiques n’est toujours pas acquise.

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2 – Deuxième point et qui n’est pas des moindres : on parle de charge mentale, parce que c’est plus glamour que de parler des chaussettes sales et des toilettes à nettoyer. C’est aussi pour cela qu’il y a autant de confusion dans le quotidien : dire « je prévois un grand ménage le vendredi » à la place de « je nettoie les chiottes le vendredi », cela nous place sur d’autres valeurs : celles de la pensée.

Mais cela va même plus loin : quand on prévoit les tâches, quand on répond à cette injonction d’organiser son temps, on rentre aussi sur la maîtrise de son emploi du temps pour « plus » travailler. Je me souviens très bien de ces femmes qui m’expliquaient qu’elles prévoyaient surtout leurs semaines en terme domestique pour pouvoir être le plus disponible au travail. La question même du travail doit être interrogée quand on parle de charge mentale.

Et c’est justement parce que nous sommes en confinement, que le travail change, qu’on se réinterroge sur la charge mentale, et corollairement sur les tâches domestiques. Et si le problème était tout simplement le travail ?

3 – Le troisième point est vu sous le prisme des classes sociales. Depuis quelques jours, quand les journalistes m’appellent, ils et elles me racontent leurs meilleures anecdotes personnelles ou pas : comment cette collègue se retrouve enfermée dans les toilettes pour faire sa réunion, comment ce collègue doit gérer ses deux enfants, lui qui est si rigide d’habitude… (Ce sont souvent des journalistes non pigistes… )

Et c’est justement ce qui me fait tiquer : c’est comme si ceux et celles qui ont des métiers CSP+ découvraient d’un coup que s’occuper d’enfant, c’est difficile, que les tâches domestiques sont récurrentes. Et là on est aussi sur un problème de privilèges. Ce n’est pas leur découverte qui est un privilège : c’est de découvrir seulement maintenant leurs existences.

Que font ils quand ils ne travaillent pas ? N’ont ils jamais été enfermé avec des enfants pendant plusieurs jours ? Partent ils toujours en vacances ? Ont ils la chance d’avoir une solidarité familiale ou des revenus pour avoir des tiers pour les aider ?…

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Aucun article sur la charge économique du confinement, où on se retrouve à de voir gérer 21 repas par semaine et par personne. Aucune parole de ceux et celles qui sont en chômage partiel et qui ne savent pas comment ils vont gérer leur budget. Rien sur les parents seul.e.s Et ce n’est pas faute d’en parler.

Entendons nous bien : toute souffrance a le droit d’être entendue. Mais il y a une limite quand même au bruit. Je veux bien continuer de parler ad nauseam de mon travail, avec des questions que sur le télétravail, mais l’étonnement a toujours été le même quand j’ai parlé de femmes qui continuaient de travailler et d’hommes au chômage partiel, et inversement. En parlant du télétravail et des tâches domestiques, on ne parle pas à l’ensemble des lecteurs, on parle à un certain public qui découvre les privilèges quotidiens. Et je me sens concernée quand j’écris cette phrase.

4 – Le quatrième point est sûrement le plus important pour moi : je ne suis pas une thérapeute. Je ne suis pas dans le mouvement du développement personnel. Et pourtant, quand on se retrouve à parler de cette collision entre travail et domestique, on demande des conseils pour mieux gérer. C’est exactement le même problème que le point d’avant.

Le développement personnel dépolitise toutes les luttes. Le développement personnel est une injonction à être de telle ou telle manière. Le développement personnel est une solution de privilégiés : quand tu n’as pas le choix, tu les trouves tes solutions et pas en t’isolant dans une pièce (phrase que j’ai dite…). Quand tu es seule.e avec des enfants, tu fais surtout comme tu peux et tu prends tes journées une par une. Ce n’est pas mon conseil pourri qui va t’aider.

(Et si le développent personnel t’aide, c’est tant mieux, je rappelle juste qu’on est sur mon blog personnel et que je peux donner mon opinion. )

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5 – Et dans tout ce marasme, et bien on oublie les luttes.

Parfois, je me dis que faire du bruit médiatiquement, c’est mieux que de ne pas faire de bruit. Oui, on parle de charge mentale et de tâches domestiques, mais plus on en parle, plus j’ai l’impression de voir une dépolitisation à l’extrême. Comme si ce n’était que des questions de « lâchez prise », de « mauvais partenaire » et d’autres foutaises, qui permettent de remettre la faute sur une question purement individuelle alors que nous sommes tous et toutes les produits d’une éducation et d’une socialisation.

A chaque entretien, je rappelle les inégalités domestiques, la relation entre travail/famille/domestique, la remise en cause nécessaire sur nos normes et nos valeurs autour de cela. A chaque fois, c’est coupé. (Sauf avec les médias engagé, merci Radio Parleur ! )

Sauf que ce n’est pas un blasphème de s’interroger sur les normes. Ce n’est pas un petit travail d’ailleurs. C’est essentiel pour inventer un monde plus juste. On ne peut pas juste se contenter de décrire la réalité d’une toute petite partie des français, ceux et celles qui sont en télétravail, et laisser entendre ensuite que la fin du confinement permettra soit un retour à la normal (ouf ! On sera sauvé ! ) ou une égalité. Face à ceux et celles qui souffrent, qui galèrent encore plus au quotidien, c’est du non sens, pour ne pas dire de l’indécence.

Il serait bien plus intéressant de montrer le quotidien en télétravail en le rattachant aux luttes historiques autour du travail domestique gratuit et surtout d’arrêter d’en faire un focus : chacun.e a le droit à l’égalité dans son foyer, quelque soit sa situation financière ou géographique.

Les plus privilégiés n’ont pas le monopole de la peine : on ne les a pas attendu pour savoir que le travail domestique gratuit était pénible et non partagé.

C’est une révolution à faire dans tous les couples, c’est une révolution à faire dans nos éducations et nos socialisations.