La gifle est arrivée comme ça, un lundi soir, sans que je m’y attende vraiment.
Je me suis connectée à Twitter et PAF ! J’avais une liste de ministres, que je comprenais pas. Je voyais des hommes, que je suivais pour leurs problèmes judiciaires ou pour leurs sorties plus que douteuses sur les femmes. Je voyais des femmes, parfois inconnues, qui en un simple recherche, montraient leurs méconnaissances sur l’égalité des genres.
Et voilà.
Il était presque 20 heures. Je devais coucher mon enfant, mais non, j’étais là, à lire cette liste. Vidée. Soufflée. Somptueusement énervée. « Non une seule histoire mon chéri, parce que là, je te jure, j’ai du mal à me calmer«
C’était douloureux.
J’ai eu envie ensuite de manifester, pour crier, pour me défouler, pour hurler ma haine d’être incomprise, pour montrer ma solidarité avec toutes les femmes.
Et puis après, tu es vide.
T’es vidée. On t’a craché à la gueule. On t’a dit que finalement, le travail que tu faisais pour changer cette société n’était pas si important, que franchement, ce travail était avant tout un caprice, parce que vraiment, il y a des choses plus importantes que les inégalités de tout types, il y a l’économie et tout le reste, mais surtout pas les inégalités de genre, de classe et de race.
Moi, quand je crie, ça me fait du bien. Quand je me mets en colère, quand je tape du pieds, quand je leur dis que ce sont vraiment les pires personnes de la terre, je me sens mieux. Je me sens mieux parce que je sens les autres femmes qui comme moi sont en colère. Je sens que je ne suis pas seule, je sens qu’on fait bouger les choses. Je sens une enveloppe que je ne pourrais expliquer.
Quand je hurle des slogans en manifestations, cela me fait du bien. Parce que c’est l’énergie que je suis en train de récupérer pour créer, pour avancer. Je ne suis plus abattue, je suis là, sur mes deux pieds, le poing levé et je crie. Mon corps tout entier est tendu, mon esprit est simplement là en train de faire passer les messages, ma voix est forte et personne ne me le reproche. Je surveille d’un coin de l’œil s’il y a des contrôles, s’il y a des policiers qui arrivent pour nous gazer. Je suis en éveil, mais je suis là, dans mon corps. Je ne suis plus sur mon portable à attendre une énième notification qui viendrait me stresser, qui viendrait me signifier que mon esprit doit déjà repartir vers le travail.
Vous savez ce qui m’énerve ? Ce qui m’énerve, c’est d’être énervée. C’est d’être énervée alors que je n’attends plus rien des hommes et femmes politiques. A CHAQUE FOIS, je me fais avoir, à dire que franchement, je m’en moque, que ce n’est pas si important, et puis PAF ! Je tombe dans le panneau.
Mais au fond, tout au fond de moi, je sais qu’un changement de ministres, c’est juste continuer une politique contre laquelle je suis en lutte et qui me dégoûte. Au fond de moi, je SAIS que ce n’est pas si grave pour les actions militantes du quotidien et qu’on ne va pas arrêter notre travail.
Et c’est sur ce point que je voudrais revenir : on attend trop encore du pouvoir en place, alors que nous sommes aussi actrices et acteurs du changement.
Je n’aime pas la théorie du colibri, qui explique que chaque petit geste compte : on se retrouve ensuite avec un gouvernement qui fait des campagnes sur les petits gestes, mais qui ne change pas durablement sa politique écologique.
Je n’aime pas la théorie du colibri, car elle dépolitise les luttes, elle retire le sens collectif, elle retire le pouvoir du collectif. Mais ici, on n’est pas dans le colibri. Personne n’est sorti dans un mouvement de masse pour éteindre le robinet quand on se lave les dents. En revanche, beaucoup de femmes sont sorties dans la rue pour dire leur ras-le-bol , pour prendre la parole publiquement, pour changer leurs couples, leurs proches, leurs éducations, leurs réflexes, leurs positionnements.
Il y a encore du travail. Il y a une bonne réflexion à avoir pour beaucoup d’entre nous sur le racisme, sur le validisme, sur la grossophobie et sur la psychophobie. C’est même plus qu’une réflexion, ce sont des remises en cause réelles à avoir sur nos luttes et nos revendications. Va falloir laver nos oreilles pour mieux écouter et comprendre, va falloir qu’on se pousse pour faire de vraies places, et surtout va falloir qu’on ferme nos bouches surtout, parce que ça commence à être vraiment compliqué parfois…
En revanche, quand je fais le bilan des changements durant les dix dernières années, je suis juste soufflée. Quand en 2010, j’ai commencé mon mémoire sur le féminisme à Toulouse, nous étions peu, nous ne nous connaissions pas, ou de loin. On ne parlait pas féminisme, ou alors si, celui des années 1970.
C’est là-dessus quand je veux insister. Nous sommes des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers à changer les choses à toutes les échelles. Peut-être que c’est juste de reprendre sa mère qui nous dit que notre compagnon nous aide, peut-être que l’engagement est plus fort, mais on est toutes pro-actives. Et c’est ça qui me parait essentiel.
Aujourd’hui, quand autour de nous, une femme est victime de violences, on cherche des solutions, on ne baisse plus les yeux et même on sait quoi répondre.
Quand tu auras crier, quand t’auras repris ton souffle, quand t’auras dit ta rage, quand t’auras refait le plein d’énergie, repose toi et reviens au combat.
Et viens, on s’amuse.
J’aimerais retrouver la joie de militer que j’ai connu. La joie des grands rassemblements, des actions collectives et des amusements. Cet après-midi, une femme que j’admire beaucoup pour son engagement local, me disait : » Hey, Coline, on se lance un défi pour les présidentielles et pour les législatives et on se présente sous l’étiquette « une femme » pour les obliger à avoir un débat féministe? »
Bah ouais. Grave.
Puis elle me parlait de ses actions, drôles, de nommer des gouvernements factices, de détourner des actions gouvernementales pour retrouver du souffle et du collectif. Pour ne pas seulement se retrouver pour gueuler, mais pour construire ensemble, pour échanger.
Mais c’est tellement ça.
Quand t’auras crié comme moi vendredi, que tu auras pris quelques jours pour toi, repense à tout cela. Nos actions vont continuer, nos actions n’ont pas comme finalité de transformer les hommes et les femmes qui ont déjà le pouvoir. Nos actions vont continuer parce que nous sommes là, parce que nous sommes nombreuses, parce que nous avons des alliés.
Et ce n’est sûrement pas un gouvernement qui passe son temps à casser les mouvements sociaux, qui va changer ce que nous portons.
Ressource toi, respire, pose ton portable, mets toi dans le temps présent, et reviens à la bagarre.
Moi je t’attends, avec plein d’énergie.