Est-ce que c’est vraiment moi ?

En ce moment, j’écoute Nue de Clara Luciani en boucle. Le premier couplet parle du sentiment qu’elle ressent en sortant de scène. Est ce que c’est vraiment elle qui vient de chanter ? Et puis elle retire les artifices et elle vient nue « vers toi ».

Ça tourne dans mes oreilles. Fort. Très fort. La basse que je suis du pied. Le son à fond pour ressentir les paroles et la musique.

« Cette vie que j’habite
Parfois me dépasse parfois est trop petite
Peur que ma chance me quitte
Je cours partout, je m’ennuie vite »Clara Luciani – Nue

C’est un peu moi en ce moment. Quand je me retrouve devant une centaine de salarié.e.s en train de les former sur les questions de la charge mentale. Quand je suis en train de relire le livre et la quatrième de couverture. Quand je passe d’une ville à ma salle de cours, que la vie s’accélère pendant une soirée, pendant une semaine, que je me demande si c’est encore moi. Quand je rencontre des jeunes femmes qui ont les larmes aux yeux de savoir que c’est moi, quand on me dit que c’est génial, quand je vois dans les yeux des autres que je suis en train de faire bouger les lignes, mais est-ce que moi j’y crois ?

Cette semaine, j’ai touché du doigt ce que pourrait être ma vie, si je sortais de l’éducation nationale et que je me consacrais vraiment au compte, à 100%. Cette vie à courir entre les trains et les hôtels me donne envie. J’ai tout simplement adoré bouger, rencontrer et prendre du temps pour moi toute seule. J’ai aussi senti ce que ça pourrait être d’habiter ailleurs que Saint Denis. Cela m’a donné envie de replonger à nouveau dans un anonymat nécessaire pour me ressourcer. Et puis j’ai repensé que certain.e.s me manqueraient.

J’ai souvent ce sentiment : je ne sais pas vraiment l’importance de ce que je suis en train de faire. J’ai envie de dire que c’est une bonne chose, on sait que je ne le fais pas pour la gloire. Mais parfois cela me questionne sur les moyens que j’utilise pour faire passer mon message.

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Je pense profondément que le couple, l’intime, reste un lieu de discriminations très fortes. Je pense que l’amour est vécu comme une obligation de don, que cela crée des obligations qui, souvent, effacent une partie de sa personnalité. J’ai toujours pensé que l’amour rendait libre. Mais je me suis trompée. L’amour est une jolie cage dorée. On peut se dire amoureux, mais dès que le mot est prononcé, il nous emmène dans une multitude d’obligations, qui ne riment pas avec liberté.

J’ai l’impression qu’on confond de plus en plus amour, le sentiment, et relation, avec ses codes et ses normes. On peut aimer profondément quelqu’un et ne pas vouloir former un couple. On peut aimer profondément quelqu’un et ne pas savoir définir la relation, on peut vivre cet amour, on peut aussi le garder pour soi.

J’ai souvent confondu la passion avec l’amour. J’ai confondu car je me shoote aux émotions fortes et que j’aime être toujours sur le fil. J’aime me mettre en danger. Et la passion, c’est du danger. Quand on a le cœur qui se soulève, quand on sent son corps tombé sous le poids des frissons, quand on ressent une émotion très forte en voyant quelqu’un, c’est assez magique. Mais cela reste de la passion. Qu’on veut vivre ou pas. Qu’on peut aimer ou pas. Qui peut être éphémère, ou qui peut durer dans le temps.

Je me suis toujours demandé comment l’émotion pouvait autant retourner le cerveau, le cœur, les pensées. Comment cela pouvait nous soulever autant. Pourquoi cela nous rend si vivant ? Pourquoi certain.e.s fuient l’émotion ? Pourquoi d’autres, comme moi, se jettent dedans à corps et cœurs perdus ?

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Je m’interroge aussi beaucoup sur ce que nous fait faire l’amour. Comment on plaque tout pour aller vivre ailleurs ? Comment on accepte de prendre sur soi, d’oublier les bases de sa personnalité, pour continuer une relation à tout prix ? Et pourquoi, justement, on donne de la valeur à une relation exclusive et établie ?

J’ai rarement remis autant en cause le couple, qu’en ce moment. Cela a de réelles incidences sur ma vie personnelle, forcément, mais j’avance. J’ai l’impression de me réveiller de vingt ans de sieste, bercée par une chanson douce qui se finit toujours par « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants« . J’ai l’impression que je me suis berné pendant des années dans ma représentation de l’amour. Alors oui, j’aime toujours, mais j’ai tellement envie d’aimer différemment, d’aimer plus librement et d’embraquer avec moi les gens que j’aime.

Il s’est passé quelque chose en moi en deux ans. J’ai senti une fracture, j’ai senti vraiment un basculement. J’ai l’impression que le féminisme m’a libéré de la pression que j’avais depuis des années. Cette pression de devoir toujours être au top, cette pression de faire ce qu’on attendait de moi, de répondre aux invitations sociales, de me bouger pour paraître. Paraître sympa, intentionnée, présente, aimable. Et puis un jour, je me suis réveillé. Je crois que l’arrivée de mon fils est à la base de tout cela. Je n’avais plus envie de prendre sur moi, je n’avais plus envie d’être celle toujours présente. Je n’ai plus envie.

Je me suis libéré d’une charge émotionnelle, extrêmement forte, qui venait de ma mère et son besoin de paraître, qui venait de ma sociabilité de gentille petite fille, qui venaient aussi des coups que je me suis pris, avec mon corps plus gros, avec mes manières moins bourgeoises, avec mon vocabulaire moins soutenu que les autres, avec ma voix plus forte.

J’ai tenté pendant des années de rentrer dans le moule, j’ai tout coché, je suis allée vite d’ailleurs pour tout cocher. Mais j’ai oublié une chose essentielle : moi.

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Alors oui, on va me traiter d’égoïste, on va sûrement me dire que je ne devrais pas, on va sûrement dire que je fais des dégâts collatéraux et que franchement, je manque d’empathie. Mais je ne peux plus tout porter. Je ne peux plus faire semblant, prendre sur moi, être patiente et sourire. Ce n’est plus possible. Je n’ai plus envie de faire les efforts, car je les fais depuis bien trop longtemps. J’en ai marre de prendre sur moi et de toujours réfléchir à ce qu’on va penser de moi. Si je suis égoïste, j’assume. J’en ai marre de me donner de la valeur avec ma relation aux autres. J’en ai marre de voir ma valeur dans les yeux des autres et comment eux-mêmes se donnent de la valeur ainsi. Je voudrais des relations plus saines, où on n’est pas en permanence en train de compter les points. Mes meilleures amitiés/amours, celles qui n’ont jamais lâché ma main, sont celles où on ne compte plus les gestes, les sms, les appels, les rires. Où on peut ne pas se voir pendant six mois et passer une de nos meilleures soirées. Où on se dit les choses, mais où on ne laisse pas un silence gêné.

J’ai envie de croire en moi, sans avoir besoin de béquille émotionnelle. J’ai envie de reprendre tout depuis le début. J’ai envie de revenir aux origines, aux sentiments de base, à ce qui me définit.

J’ai commencé une thérapie et ça m’aide beaucoup. Cela me permet de remettre en perspective mes choix et mes envies. Je sais que cela va être long avec de trouver un équilibre, avant d’affirmer ce que je veux profondément. Mais je suis prête à cela.

Cela sera sûrement le prix de ma liberté.