Le choix.

L’écriture a disparu comme cela, en juillet. Je ne l’ai plus revue.

C’est long une pause pareille pour quelqu’un qui écrivait quotidiennement dans des notes ou sur son blog.

2020 nous aura bien eu. Ou m’aura bien eu plutôt.

On a dû mal à reconnaître le coup émotionnel. Parce qu’on a toujours son taf, toujours sa maison, qu’on a un peu d’argent. Que les gens qui sont décédés autour de nous étaient très vieux (Tata Marcelle, je pense tellement à toi ). Que le deuxième confinement n’en était pas un pour moi, puisque je me suis rendue tous les jours au collège, où j’ai fréquenté mes collègues d’Amour et j’ai vu mes élèves d’Amour aussi.

On ne peut pas dire que 2020 n’a pas été une année sans succès, sans grande joie.

J’ai publié mon premier livre, on a publié notre premier livre avec les Éditions Daronnes. J’ai réussi une inspection dans le contexte que nous connaissons.

Ca va, il y a pire.

Il y a eu aussi les rencontres, de celles qui me font avancer sur mes réflexions, il y a eu les lectures, de celles qui m’ouvrent l’esprit, il y a eu le repos de cet été, de celui qui vous font aimer le soleil, les vagues et le tandem.

2020 n’aura pas été la pire année sur le papier.

Ca pue le privilège.

C’est vrai.

Mais à l’intérieur, c’est un champs de ruines et j’ai l’impression de vivre au bord du gouffre des possibles.

J’ai dû renoncer à beaucoup de choses, comme tout le monde, mais je me suis rendue compte que ces renoncements, minimes pour certain.e.s, étaient en fait des essentiels chez moi.

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Tout d’abord, m’évader de la sphère familiale et vivre ma vie à moi.

Sortir, faire la fête, danser, vibrer. A presque 34 ans, cela ne change pas de mes 15 ans. J’ai encore envie de sentir les basses profondément en moi, les foules me manquent et elles semblent me recharger. Je me pensais un peu solitaire, 2020 m’aura appris que j’étais un animal social avec un besoin de contacts physiques et visuels que je ne connaissais pas. Ce que je pensais être un trait de jeunesse est un trait de personnalité et même plus, une béquille à ma santé mentale.

Je m’en rends compte quand les nuits, parfois, je rêve de soirée où je danse, plusieurs heures, dans un mélange de foule compacte et de joie immense. Je repense avec nostalgie à mes soirées parisiennes, à celles où j’avais l’impression de bouffer la vie par les deux bouts.

2020 m’aura appris à rentrer dans le moule que je me suis façonnée en suivant le mode d’emploi envoyé à chacun.e : mariage, enfant.s, travail et prêt immobilier.

J’y ai cru très fort pendant des années. J’y ai encore cru cette année.

Le confinement a été aussi le rappel à ce mode d’emploi. J’ai eu l’impression qu’on me rappelait sans cesse que j’étais une mère, une mère responsable d’un enfant jeune et que c’était là mon but dans la vie. D’être une mère, avant tout le reste, sans jamais demander à ce que tout ce que j’étais puisse cohabiter.

Quand je regarde les études sur les inégalités dans le couple hétéros faites pendant le confinement, je ne peux que conclure à cela : une pandémie mondiale, c’est surtout rappeler aux gens leurs rôles sociaux. Leurs rôles de parents (surtout de mère). Leurs rôles de consommateurs. Leurs rôles de travailleurs. Sans laisser de place aux imaginaires, aux moments de soupapes, aux moments de réflexion collectives.

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Sauf que je n’en peux plus de ses trois rôles qu’on me donne depuis l’enfance et qu’on m’a appris soigneusement à réciter comme une prière.

Je me suis trompée. Je n’ai pas assez écouté ma petite voix, celle qui me disait que je pouvais rêver à d’autres manières de faire et de vivre.

Il y a peu, on m’a demandé quel.s conseil.s je pourrais donner à des adolescent.e.s.

Je sais parfaitement ce que je me dirais si j’avais 15 ans : tu as le droit d’aimer autant que tu veux, des filles comme des garçons. Tu as raison de ne pas supporter l’injustice. Tu as raison de te dire que la liberté d’être soi dans cette société n’est pas possible. En revanche, ce n’est pas pour ça que tu dois suivre rentrer sur la route toute tracée. T’as le droit d’être libre, mais tu vas sûrement lutter toute ta vie.

Tu auras des moments de fatigue. Tu vas tomber. Tu vas retenter. Peut-être que tu vas te tromper, peut-être que ce ne sera pas agréable, mais tu auras trouvé des gens qui seront une nouvelle famille.

Peut-être que tu vas décevoir tes proches, ceux et celles qui sont intimes. Tu essaieras de ne pas faire trop de dégâts en étant juste toi-même. Parce que tu sais que si tu étouffes encore ta petite voix, tu risques de crever de malheur.

Les autres ou toi. Toi ou les autres.

C’est tellement égoïste comme question, comme choix.

C’est une question que j’ai refusé de me poser.

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Parce que l’enfance chaotique avec une mère qui m’a appris que je devais déjà penser à elle, à son malheur, avant mon bonheur, et même, j’ose le dire aujourd’hui, à ma survie. Parce que le mode d’emploi des relations amoureuses hétéros, où tu dois tout donner, penser à l’Autre, sans le décevoir. Le consentement qui n’en était pas. L’éternelle infirmière. Celle qui prend soin des autres. Et quand on rend heureux les autres, on se rend un peu heureuse, non ? …

Foutue 2020

Foutu choix.