Depuis que je suis professeure à Saint Denis

J’ai enfin eu le Grâal tant attendu par les jeunes professeur(e)s : j’ai eu enfin un poste fixe dans un établissement.

En septembre, j’ai donc rejoint cet établissement en REP+, les anciennes ZEP, que j’avais mis en premier vœu.

Après deux ans de TZR (Titulaire en Zone de Remplacement => mon article ), avec ces galères et ces trajets dans une bonne partie du 93, je me sentais prête à arriver dans les établissements les plus redoutés par les jeunes professeurs. Je me sentais prête à retourner au collège et refaire de la pédagogie, ce que j’avais oublié de faire avec mes 100 copies de Premières tous les 15 jours. Quand j’y repense, j’en ai encore des frissons.

J’ai donc accueilli avec délice mon affectation le 13 juin 2016, en me disant que j’allais vivre une nouvelle aventure et que cette fois, je l’avais belle et bien choisie.

Vous le savez, j’ai fait le choix de travailler dans la commune dans laquelle j’habite et c’est donc sans surprise que j’ai été affecté à Saint Denis. Avec ces 110 000 habitants et sa population très jeune, c’est huit collèges qui accompagnent les adolescents. J’allais donc forcément avoir du travail.

J’ai eu de la chance : j’ai été affectée dans un collège quasi neuf, avec une équipe dynamique et soudée. J’ai même envie de crier que je suis dans une super équipe par rapport à tout ce que j’ai pu vivre en tant que TZR. Et une super équipe, je devais avoir pour supporter ce que je connais depuis septembre.

Soyons honnête : travailler dans le 93 en collège, ce n’est pas de tout repos et surtout ce n’est pas donné à tout le monde. Enfin, si, c’est donné à plein de profs, mais beaucoup ne peuvent pas ou ne veulent pas, et je comprends parfaitement ce sentiment.

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Pour réussir à réenchanter son quotidien avec les situations que l’on peut avoir au quotidien, c’est limite un petit miracle quotidien. Même les plus optimistes peuvent y laisser une part importante de leurs idéaux.

De septembre à décembre, je dirais que le rythme du collège était plutôt pas mal. Quelques incidents mais rien de grave, je me sentais bien avec mes classes, je sentais que je maîtrisais mon sujet. Les couloirs étaient un peu bordéliques mais j’avais déjà connu cela plusieurs fois, il n’y avait pas de grosses bagarres, quelques impolitesses de la part des gamins, mais vraiment rien d’alarmant. Après, je me dis que ma tolérance doit être plus grande que ceux qui travaillent dans des collèges « tranquilles ».

Mais ça s’est fortement dégradé en janvier. Quand je dis fortement, je dis TRÈS FORTEMENT.

Je sentais quelque chose dans l’air, un truc bizarre. On sentait, tous les profs sentaient qu’un truc clochait mais cela nous échappait complètement. On se voyait en pause déjeuner et on se disait tous la même chose « Il se passe quelque chose… Mais quoi ? ».

Cela a commencé par des bandes de filles qui attendaient une de vos élèves à la sortie, puis ça a enchaîné sur l’agression de notre AVS, vous savez la super dame qui s’occupe des enfants en plus grosses difficultés. Cela a continué avec d’autres bandes  de filles qui s’introduisent dans le collège et qui frappent la CPE qui protège une élève. Et puis tout file, je me fais insulter en sortie par un 5ème, les conseils de disciplines sont nombreux, deux par semaine, voire quatre, toujours les 5ème, toujours des situations invraisemblables. Depuis janvier, cela n’arrête pas : départ de feu, jeu du foulard, menace de mort, pétage de plomb, défis idiots, bombe de gaz lacrymo…. Mais où est passé ce collège que j’ai connu pendant quatre mois ?

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Pourtant, rien a changé. En apparence, dans notre établissement, il n’y a rien eu de grave, rien qui explique cette folie collective des 5èmes (mais qu’ont-ils ces fameux 5èmes ???)

La seule explication que nous trouvons, véritablement, c’est le contexte social, mêlé à des histoires de bandes qui se déroulent essentiellement sur les réseaux sociaux. Et ça, ça fout les jetons. Mais vraiment. Parce que en tant que prof, j’ai aucune incidence sur ce qui se passe à l’extérieur, à part constater.

Je constate qu’en ce moment cela ne va pas. Je constate qu’en ce moment ils sont insupportables, qu’il m’est difficile de me faire respecter dans les couloirs. J’arrive à faire cours, mais avec une énergie encore plus forte et avec des cours encore plus carré. (ou pas)

Cela pousse certains collègues à un fatalisme que j’ai dû mal à comprendre, mais c’est peut-être parce que j’habite cette ville. « De toute manière c’est Saint-Denis, c’est comme ça« , comme si c’était écrit, comme si c’était prévisible… Mais doit-on se laisser aller à ce genre de remarques qui ne nous aident pas vraiment ? Doit-on laisser faire la fatalité comme une héroïne de pièces antiques, qui connaît son destin et qui court vers lui ? J’ai dû mal à accepter cela.

Vous avez dû entendre parler de Saint-Denis ces dernières semaines. Allez, avouez, vous avez pensé à moi hein ? (Vous pouvez lire ce reportage de France Inter si vous le souhaitez :Par ici !) Ce lycée, Suger, c’est le lycée où j’envoie mes Troisièmes. Vous dire que j’ai été étonnée ? Oui fortement. Mais pas tant que ça… Vu ce que je viens de vous raconter, forcément, ça s’inscrit dans le climat qu’on ressent depuis janvier. Et puis on en parle des autres lycées où ça pète en ce moment ? Genre à Aulnay sous Bois ? Vous savez la commune de Théo, le jeune homme sodomisé par la matraque d’un policier…

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Comment voulez-vous montrer l’exemple quand le climat est à la suspicion et aux injustices permanentes. Plus de lois, plus de flics, peut-être, mais plus d’éducation et d’écoute, ça serait bien aussi.

Alors oui, depuis que je suis professeure à Saint Denis, c’est plus dur, c’est plus intense, c’est parfois décourageant et c’est même parfois sacrément emmerdant. On doit apprendre à être patient, à utiliser des petits ruses de sioux, qu’on se refile. Et quand une séance fonctionne bien, on est CONTENT. On rencontre des détresses humaines qu’on aurait jamais pensé voir, ou alors, si dans les livres de Balzac. Et dans tous ce merdier, ce foutoir, on essaye tant bien que mal de transmettre l’amour de l’Histoire, l’amour de la géographie et des valeurs POSITIVES.

Mais parfois, on se décourage.

Il faut pourtant bien continuer si on veut être le dernier rempart à l’ignorance.

(Cette dernière phrase est très présomptueuse mais j’englobe mes collègues, tous mes amis profs, et tous ceux qui connaissent des situations horribles dans leurs bahuts…. Je ne suis qu’une goutte d’eau dans le savoir)