Cette rencontre

Je ne pensais pas qu’un jour, je serais assise devant mon ordinateur, en train de faire le bilan de l’année qui vient de se passer et en me disant « En fait, t’es plutôt une grande championne.« 

Depuis maintenant avril 2018, je tente de me reconnecter à moi-même. Je tente comme je peux de retrouver celle que j’avais perdue dans la course à la norme, dans la course à la normativité. Comment rester soi-même quand on s’est oublié dans les méandres de l’envie d’enfant et de la grossesse ?

Je me suis oubliée. J’ai fait une dépression. J’en ai crevé de souffrance de ne pas avoir cet enfant. J’en ai oublié qui j’étais tellement, j’ai eu peur de ne jamais avoir d’enfant.

Aujourd’hui, il est facile pour la Madame Sourire de dire que c’était ridicule. Mais à l’époque, personne ne pouvait me rassurer ou me tenir la main. Personne ne pouvait me dire que ça allait bien se passer car je n’y croyais pas. Je me suis enveloppée dans une dépression très forte, que personne n’a vu, que j’ai caché.
Que j’ai caché en prenant du poids, en ne donnant plus de nouvelles à mes amis, en me renfermant sur mon couple. Une fuite en avant pour oublier, pour oublier cette peur, cette angoisse très forte de ne jamais avoir d’enfant.

La question reste d’ailleurs sensible. Je m’interdis de me dire que j’en voudrais un second, tellement le chemin pour avoir mon fils a été compliqué, tellement j’ai mal vécu cette grossesse et cet accouchement. Certains me diront que ce qui compte, c’est que mon fils soit en bonne santé et moi aussi. Mais le chemin psychologique a été violent pour en arriver là car j’ai parfois un goût amer dans la bouche.

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Hier soir, je parlais allaitement avec une inconnue et je me suis retrouvée à avoir les larmes aux yeux en y pensant. Ces moments, j’ai décidé de ne plus les vivre, alors que l’allaitement a été sûrement le seul réconfort de cette naissance. L’allaitement m’a montré que mon corps n’était pas complétement un tocard et que je pouvais lui faire confiance.

Tout remonte en ce moment, comme si une boîte avait été ouverte.

Est-ce que ce sont les difficultés que mon couple traverse ? Est-ce que c’est d’avoir retrouvé celle que je suis qui fait que tout revient ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, en ce moment, c’est bien présent dans mon esprit.

J’ai l’impression d’avoir gâché trois ans de ma vie et d’avoir bousillé mon couple en ne disant pas que ça allait très mal.

Je ne voulais pas spécialement parler de cela ce matin, mais comme quoi, c’est bien présent en ce moment.

Je voulais vous parler d’une rencontre, de ce genre de rencontre que l’on fait et qu’on n’est pas prêt de s’en remettre.
J’ai toujours cru que j’avais besoin des autres pour avancer. J’ai toujours pensé que j’avais besoin de rencontres décisives pour me trouver.

Je me rends compte que c’est un schéma patriarcal bien ancré. Dans les films, dans les livres, l’héroïne avance toujours grâce à une rencontre formidable : soit une amie qui lui ressemble, soit un homme qui lui montre une autre voie.

J’ai toujours été dans cette équipe : je peux vous citer les quelques personnes qui ont changé ma vie ces quinze dernières années. Que ce soit ma prof d’histoire en Première, mon Amoureux de 18 ans, ma Témoin d’amour, mon Témoin d’Amour, mon Mari, ma bande de copines de la fac, mes Collègues et ce Garçon. J’ai longtemps cru que sans eux, je n’étais pas grand chose, qu’ils étaient mes tuteurs, qu’ils étaient LA rencontre qui était en train de changer ma vie.

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C’était sûrement leur donner une trop grande responsabilité, voire une trop grande importance dans ma vie. S’ils mettaient fin à cette rencontre, est-ce que cela voulait dire que j’allais m’effondrer, incapable d’avancer, incapable de vivre ?

Je me suis rendu compte que la meilleure des rencontres,
c’était moi-même.

Il y a des rencontres qui font du mal, des rencontres qui me font grandir, des rencontres qui me font parfois pleurer, des rencontres qui me donnent le sourire, des rencontres qui m’inspirent, mais aucune de ces rencontres n’est véritablement l’essence même de ma vie. Je suis la seule responsable de toutes ces décisions, de toutes ces énergies.

Si demain, ces rencontres partaient, si elles décidaient de mettre fin, je serais encore debout, je serais encore en train d’écrire, je serais encore la féministe, la prof, la daronne, l’habitante de Saint-Denis. Parce que je l’ai choisi, sans rencontre, sans personne. Parce qu’au fond je suis profondément cela.

Les rencontres me permettent de confronter mes idées, de vivre des grands moments, des moments intense de passion, de rêves et parfois d’insouciance, ces rencontres sont ma nourriture intellectuelle, ces rencontres sont sûrement le sel de la vie. Mais elles ne sont pas l’essentiel de ma vie. Quand une rencontre part de ma vie, elle ne me détruit pas, elle ne me rend pas plus forte, elle ne fait que partir. J’ai le droit d’être triste, j’ai le droit d’être en colère, mais la vie continue.

Penser qu’une personne est essentielle pour avancer est un schéma de domination extrêmement dangereux. Le héros n’a jamais besoin de la princesse pour combattre le dragon. Elle est la récompense. La princesse a besoin en revanche du héros pour vivre. Et moi, je n’ai plus envie de cela. Je me rends compte que ce n’est pas ce que je veux ressentir, ni vivre.

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En un an, j’ai touché beaucoup de rêves du doigt : j’ai créé un compte Instagram qui fonctionne bien, je suis en train d’écrire un livre féministe, j’ai repris goût au militantisme, je vais à la rencontre de journalistes pour parler, je suis active dans mon établissement, je suis la militante que j’ai toujours eu envie d’être. Voilà. J’ai réussi un de mes buts. Je dois maintenant le développer encore plus. Je n’ai plus peur.

Je n’ai pas réussi parce que j’ai eu une rencontre, j’ai réussi parce que j’ai commencé à croire en moi, en mes capacités.

Et je suis sûre d’une chose : mes capacités ne sont pas encore complétement développées.

Les rencontre peuvent arriver, partir, revenir, elles peuvent ne faire que passer, elles mettent de la passion dans ma vie et me donnent beaucoup d’énergie, mais au fond, je sais, que la seule rencontre qui compte, c’est celle avec moi-même.