J’habite Saint-Denis, juste à côté

J’avais écrit un article sur le bonheur retrouvé à Saint Denis. Mon bonheur de me retrouver dans une ville ouverte, populaire, où je me sens bien, qui me donne envie de me lever le dimanche matin.

Et puis il y a eu le mercredi 18 novembre.

Ce mercredi 18 novembre, nous avons été réveillé par des explosions. Il était 4h23 du matin. Je me souviens, parce que j’ai regardé mon portable. Nous étions encore mal des attentats immondes du vendredi, nous avions passé un week-end à essayer de s’en remettre au parc de la Courneuve avec des amis.

Quand nous avons décidé d’acheter à Saint-Denis, on savait très bien où on mettait les pieds et là où on ne les mettait pas. Nous n’avons pas acheté dans un quartier où nos enfants ne pourraient pas grandir sereinement et en paix. Nous avons acheté car il était possible pour une famille, pour un couple, pour des gens « normaux », athées, de vivre dans ce quartier sans se sentir oppressés, épiés ou autres débilités du nom. Je me promène sans aucune peur dans mon quartier, le soir, la journée. Je ne me fais pas emmerder comme dans certaines villes du Sud.

Je connais les commerçants, au bout de deux mois. Je connais la pharmacienne, le restaurant africain, Tati et Camaieu de la fameuse rue de la République. Les gens sont gentils, ils ne parlent pas plus fort qu’ailleurs. On a quelques difficultés avec la Poste, parce qu’il y a toujours plein de monde et les jours de marché, il vaut mieux ne pas tirer de l’argent là-bas parce que la file d’attente est de au moins quinze minutes.

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J’ai aussi appris à connaître mes voisins. Je me suis déjà fait des copines. Des copines qui sont profs elles aussi, ou dans des métiers qui s’y rapprochent. Mes amis viennent avec beaucoup de bonheur chez nous, notre appartement est grand et il nous permet de faire de vraies grosses fêtes, de recevoir sans que personne ne se gêne.

Ce que nous préférons, c’est le marché du dimanche matin. J’y ai pris mes habitudes au bout de huit semaines. On me dit « Bonjour Madame » et on me demande si ma semaine s’est bien passée. Je me lève avec beaucoup moins de réticences. Et puis l’après-midi, on va au parc de la Courneuve. Il est grand, il est beau, les enfants courent. On voit Paris et surtout sa banlieue. C’est beau. On se sent vivant.

Voilà, j’avais décidé d’écrire sur le bonheur retrouvé, sur toutes les petits choses qui me font aimer Saint Denis, qui me font interroger sur la société, qui me font vibrer. Parce que depuis deux mois, je revis.

Et puis, le 18 novembre au matin, on a entendu cinq explosions.

Puis une heure trente de tirs.

Entrecoupé par des explosions.

Quand nous avons entendu les premières explosions, on s’est dit que, quand même, faire des blagues avec des pétards, ce n’était pas drôle. Et puis, en fait, ce n’était pas une blague.

Nous n’avons eu aucune information pendant presque une heure. J’ai réactivé mon Twitter, pour pouvoir avoir des informations. On entendait des cris, des tirs, on a eu l’impression d’entendre des gens courir dans notre rue, notre voisine du dessous hurlait, notre voisine d’en face était à la fenêtre, seule, et pleurait. Je lui faisais des signes pour qu’elle recule, mais elle téléphonait, sûrement à la police, tout en pleurant.

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Et puis il y a eu les rumeurs. Ils sont sur les toits, il y a une course poursuite dans la ville, ils sont dans notre rue, ils sont… Mais qui sont ils ?

Il y a eu les premières images. Je vois ma pharmacie, ma rue piétonne. On ne bouge plus dans le lit. On s’imagine des scénarios pas drôles mais qui permettent d’évacuer la peur. Parce que oui, en ce matin du 18 novembre, j’ai peur. Grumpf a peur. Les chats ont peur. Notre appartement du bonheur pue la peur.

Et tout se calme. Vers 8heures 30 du matin. Quelques explosions, plus de tirs. On respire un peu mieux, on contrôle notre information.

Nous n’avons plus le droit de sortir jusque 13h30. Nous sommes juste à côté. Un 50 mètres à vol d’oiseau. Pas dans la même rue, mais tellement proche. C’est un lieu de mon quotidien, c’est un lieu en face de la Poste.

On reste sans voix. Un peu hébétée par tout cela. On sort vers 15 heures de chez nous, pour faire un tour après presque 12 heures de restrictions. Il y a foule dans les rues, il y a des journalistes à côté de la Basilique. On prend une bière en terrasse. On essaye de ne plus trop penser.

On soigne les plaies comme on peut, en oubliant parfois, que la plaie est psychologique.

On reprend son quotidien, on fait ses cours, on dîne en amoureux, on se promène dans ce quartier.

Les gens s’arrêtent devant ce bâtiment. Ils regardent l’immeuble. C’est un immeuble banal de Saint Denis. Pas de photo, de fleurs, ou de conversations. On passe, on s’arrête, mais surtout on essaye de ne pas y faire attention. Ils étaient là. Les terroristes étaient là. L’homme le plus recherché d’Europe était en bas de chez moi. Il a fréquenté le même quartier que moi pour une nuit.

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Je ne sais pas trop ce que m’inspire cette pensée. Je suis en colère que ma ville soit mise en avant comme cela. Il faut dire que nous avons été touchée deux fois : une fois par des kamikazes, à côté de mon Décathlon et de mon Truffaut et une fois en bas de chez moi. Que dire ? Que penser ? Comment rationaliser l’inexplicable ?

Le mieux, c’est de continuer à ne plus avoir peur, continuer à sortir et à échanger. On ne peut pas tout comprendre. On ne peut pas tout expliquer. On se laissera vivre en se disant qu’une fois, des gens se sont fait sauter en bas de chez soi, que des gens sont morts, qu’on est resté enfermé dans son appartement. On se dira que quand même, le monde est drôlement mal fait. Ou alors que de sombres personnes nous côtoient au quotidien.

Et puis surtout, on ne pardonnera pas. Jamais.

On ne pardonnera pas l’inexplicable, on n’essaiera pas de trouver des excuses. On restera camper sur ces positions, avec la fierté en bandoulière.

Oui, j’habite Saint Denis, juste à côté, mais non, je n’ai pas peur et mon quartier n’est pas ce que vous pensez.