Je suis une féministe extrémiste

Cela fait plusieurs jours que j’ai ce billet en tête. En fait, non, ça fait plusieurs jours que j’ai trois ou quatre billets en tête ayant pour thème le féminisme.

J’avais envie de vous parler de la Fête de l’Huma et de la manière dont les hommes se comportent quand ils boivent. J’avais envie de vous parler de gynécologues qui comparent l’IVG à un homicide. J’avais envie de vous parler d’éducation à la sexualité et au consentement. Cela nous aurait fait des lignes de débats, peut-être même de polémiques, soyons fous, car forcément nous n’aurions pas été d’accord.

Mais ce soir, ou ce matin, je n’ai pas envie de parler de tout cela un par un. J’ai envie de vous parler en globalité.

Je suis ce qu’on appelle une féministe extrémiste, c’est à dire une radicale.

Je ne mets pas d’eau dans mon vin. Je ne vois par demi-mesure. Je ne peux plus. On ne m’arrête plus dans ma révolte, c’est fini.

Je vais vous parler de la gentille petite femme que j’ai été jusque il y a maintenant cinq ou six ans.

Il y a cinq ou six ans, j’écoutais tous les arguments et je tentais de trouver toujours, j’ai bien dit toujours, le juste milieu. Pour moi, le juste milieu était une satisfaction personnelle montrant que j’étais mesurée, que je savais retirer mon avis politique de toute chose, et que, c’était sûr, la rationalité devait toujours gagner. Parce que c’est bien connu, la balance des arguments allait forcément vers le compromis et le compromis, c’était la justice. Si il y a compromis, tout le monde est content.

Ce qui m’était arrivé n’était qu’un épisode personnel, je ne pouvais pas en faire une généralité. Et jamais, oh grand jamais, je utilisais mon expérience de femme pour justifier mon opinion. Je tentais de me dire que dans chaque individu il y avait du bon (je le crois encore parfois…) et qu’il fallait respecter absolument tout le monde dans les débats, même ceux qui n’étaient pas d’accord avec moi.

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Je ne pourrais pas dire si j’ai été élevée comme cela. Ce qui est sûr, c’est que chez nous, toutes les femmes sont mesurées et tentent de trouver en permanence un compromis. Il parait que ce sont des valeurs et des compétences qui sont enseignées implicitement aux femmes, mais je ne sais plus quels travaux j’ai lu là-dessus. (N’essayez pas de me dire que votre père/frère/mari fait pareil, et que ça ne veut rien dire, je ne parle pas d’un cas en particulier).

Quoiqu’il en soit, j’étais cette femme très fière d’être le pur produit de compromis.

Et puis, j’ai commencé à travailler.

Pour ceux du fond qui ne suivent pas, je suis professeure dans un collège de Saint-Denis. En Seine-Saint-Denis.

J’ai découvert une société que je ne connaissais pas. Vraiment.

Il faut un jour être humble et se dire : « ok, pendant 26 ans de ma vie, je n’ai pas vu une partie de la société. Ce n’est pas grave, mais maintenant je sais« .

En six années, j’ai découvert le racisme, le sexisme, la misère. En six ans, j’ai compris.

Je ne l’ai jamais vécu personnellement, mais j’ai vu des individus au quotidien souffrir de cela. Souffrir d’un manque de considération, souffrir d’un manque de reconnaissance, souffrir d’agressions permanentes par le discours et par les actes.

J’ai compris une chose en six ans : le compromis, c’est bien quand on a le temps. Mais aujourd’hui, on n’a plus le temps.

On n’a plus le temps pour la mesure, pour le recul et pour écouter toutes les parties.

Il y a urgence.

Oui, les agressions minimes que je subis entrent dans ce cadre de pensées.

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Oui, me faire caresser le dos dans un concert par un connard qui est tout content de lui et qui veut m’emballer, j’ai envie de lui péter les dents.

Oui, quand on m’explique que l’IVG est un homicide et que je sais que dans les classes populaires, c’est compliqué d’avoir recours à l’IVG, oui, j’ai envie de péter des dents.

Oui, quand on ne comprend pas le besoin d’éducation sur le consentement dès le plus jeune âge et qu’on pense que les enfants vont se masturber en cours, j’ai envie de péter des dents.

C’est très facile quand on est une personne blanche, cultivée, avec un bon métier, de faire des compromis. C’est facile même si on a subi des vrais épisodes de discrimination. Cela devient beaucoup plus complexe quand les épisodes se répètent, chaque jour, inlassablement, toujours dans le même ordre et de la même manière.

Cela ne veut pas dire qu’il y a une échelle dans ceux qui souffrent. Non. C’est juste que certains ont plus de pouvoir pour l’encaisser que d’autres. Et ça, je pense que je l’ai oublié quand je portais le compromis en bandoulière.

On peut être mesuré autant que l’on veut, mais la mesure ne console pas la souffrance et surtout le compromis n’apporte pas de solution plaisante pour ceux qui ne sont jamais entendus.

Alors, sans aucune prétention, je le dis, je suis une féministe extrémiste. Je n’ai plus envie d’attendre.

Je n’ai plus envie d’attendre d’être écoutée, je n’ai plus envie d’attendre d’entendre toutes les parties. J’ai envie que cela bouge maintenant. J’ai envie que ça pète maintenant.

Je n’ai plus envie qu’un mec me donne son avis sur le féminisme, je n’ai plus envie d’entendre des mecs me demander si j’ai besoin d’aide pour me défendre. Je n’ai plus envie de donner des bons points à mes alliés, je n’ai plus envie de défendre un mec qui a des propos dégradants sur une copine en disant « oui mais tu sais, il est seul/triste/frustré/mal dans sa peau« . C’est fini. On peut expliquer, mais ne plus excuser. J’en ai marre d’excuser en permanence les propos des gens.

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Je n’ai plus envie d’entendre, je veux de l’action.

Vous savez ce qui me prouve qu’on est sur la bonne voie ? Le mouvement #metoo.

Le mouvement #metoo ou #balancetonporc a permis de faire émerger cette parole. Cela a été violent. Parfois choquant, souvent libérateur.

Est-ce que ça a changé quoique ce soit pour les mecs ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe encore des mecs qui tentent de te caresser en concert tranquillement.

Non ce qui a changé, c’est qu’on a de l’espoir. On a de l’espoir pour de vrai. On s’organise entre femmes.

Quand je me suis fait emmerder en concert, deux nanas m’ont aidée. On se sent fortes, puissantes. On apprend à se défendre.

Je ne dis plus « excuse-moi, mais je suis avec quelqu’un« , je dis « pardon, mais là, c’est juste abusé, je n’ai pas envie de ce contact physique« . Et c’est là toute la différence. Je ne me définis plus par rapport à mon statut de femme en couple, mais en tant qu’individu.

Pour moi, c’est une révolution. Je n’étais pas seule, je savais que c’était déjà arrivé à d’autres.

Et cette révolution, cette révélation, n’est pas le fruit d’un consensus mou voulu par je ne sais quel parti. C’est une prise de décision puissante et salvatrice.

Plus jamais je ne serais une femme du compromis, plus jamais, c’est terminé.

Je suis une féministe extrémiste. Une radicale.

Te voilà prévenue.