Je connais un mec normal #metoo #moiaussi

Je ne savais pas si je devais le faire.

Je ne savais si je devais aussi poser les mots sur tout cela. Sur tous ces épisodes plus ou moins graves qui me sont arrivés depuis mon adolescence. Je me demandais si un jour ça allait ressortir et comment.

Je me suis demandée aussi si je devais le faire, si je devais laisser une trace de ceci sur mon précieux blog. N’est-ce pas le souiller un peu que de parler de tout cela ?

J’en ai même parlé à Grumpf, à qui d’habitude je ne dis rien sur mes articles. Il les découvre comme vous.

Mais le mouvement était trop important et puis les souvenirs remontaient trop vite. Enfin, les conversations des hommes autour des fameux « pas tous les hommes » et « moi je ne suis pas comme ça.. » ou encore les « pourquoi elles ne portent pas plainte ??? » m’ont poussée à me dire que c’était le moment de sortir tout cela.

Car non ça n’arrive pas qu’aux autres. Ça n’arrive pas que dans les « quartiers », ça peut arriver dans les campagnes, entre gens bien éduqués selon les parents.

Je crois que ça parle de viol, donc si vous êtes sensible sur le sujet, il vaut mieux ne pas lire.

J’avais 17 ans. Ou alors 16. Je ne sais plus trop. C’était l’année où j’ai passé mon BAFA. Je me souviens de cela. Je devais être entre la Première et la Terminale. Je n’allais pas trop bien. Je me sentais prise aux pièges de cette petite ville, dans un cercle d’amis pas toujours bienveillant. En fait, je me rends compte que je me suis pris le patriarcat dans la gueule assez rapidement car je me sentais libre de faire ce que je voulais avec mon corps et mes idées politiques. Peut-être que j’avais une trop grande gueule et que changer de mec tous les trois mois n’étaient pas des signes de grandes stabilités émotionnelles. Je ne sais pas. J’étais mal. Je le savais. Mon entourage savait. Mais personne ne m’a dit quoi faire. Ou alors si en m’obligeant à rentrer dans un moule.

Il était plus vieux. Et bizarrement j’ai oublié son prénom. Ou alors si ça vient de me revenir. Il était plus vieux, allait à la fac ou à l’IUT, avait une voiture. Je me souviens de cela. On s’était embrassés dans une soirée, ou ailleurs, je ne sais plus. On s’était revus. On s’était à nouveau embrassés.

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J’aimais bien embrasser les garçons, mais je n’aimais pas coucher avec. Cela m’amusait particulièrement de rouler des pelles, mais j’avais encore du mal avec le sexe. J’aimais bien embrasser sans aller plus loin.

Je ne sais même plus où je l’avais rencontré. Il n’était pas dans mes cercles habituels. C’est bizarre d’ailleurs. Pourquoi je l’ai connu ?

La journée, je travaillais au centre aéré et on pouvait dormir sur place le soir. Ça me permettait de ne pas rentrer et de supporter à nouveau ma mère. J’avais une sorte de petite liberté et surtout j’étais avec des mecs qui passaient aussi le BAFA. On passait des bonnes soirées, on était autonomes, on était libres de rester ou de s’en aller.

Ce soir-là, un dimanche, les mecs du BAFA avaient décidé de retourner en ville. Moi je suis restée seule au centre. Je voulais rester tranquille.

Il a voulu passer me voir ce soir-là. J’ai dit oui. Je me suis dit que de toute manière ce mec m’intéressait pas trop, mais que ça me ferait de la compagnie. Et puis c’était flatteur qu’un mec plus vieux veuille bien passer du temps avec moi. Un mec pas du lycée, un mec pas de la bande.

Un mec normal, avec des petites lunettes, avec des résultats moyens, avec une voiture, avec des parents normaux, dans une maison normale. Un mec bien selon tout le monde, un mec banal, le mec que tu croises en soirée et que tu te dis « lui il n’est pas très intéressant, mais il est sympa. »

Ce mec normal est arrivé sur le centre, j’ai commencé à discuter avec lui. Il faisait froid, il m’a demandé si on ne pouvait pas rentrer à l’intérieur du centre. On n’avait pas de salle commune, on est donc allé dans la chambre que je partageais.

Je me suis assise par terre sur un matelas. Il n’y avait pas d’électricité, car le centre était en train d’être rénové. On a continué à discuter tranquillement, c’était ni agréable ni exceptionnel, je tenais la conversation. Et puis il m’a embrassée. Ce n’était pas la première fois. C’était pas terrible. J’ai arrêté et je lui ai dit que j’étais un peu fatiguée. Il m’a dit que ça serait bien qu’on en profite vu que personne n’était là. Je n’ai pas compris sur le moment. J’ai dit que je n’en avais pas très envie. Il m’a dit que vu comment je l’embrassais, c’était sûrement faux. Il m’a embrassé à nouveau. Je lui ai dit d’arrêter.

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Et puis, je ne sais plus trop en fait. Je crois que j’ai commencé à argumenter sur le fait que je ne voulais pas. J’ai même dû dire que j’avais mes règles. Je me souviens que j’ai voulu partir de la chambre et qu’il s’est mis devant moi, devant cette porte, pour ne pas que je parte. Pour ne pas que je m’échappe.

Et après je ne sais plus. Ou je n’ai plus envie de me souvenir. Je crois que j’ai cédé. En fait, ce n’était pas violent, puisqu’au bout d’une heure, je me suis laissée faire. Résignée. Pas le choix. Vas-y. Je m’en fous. C’était vraiment le sentiment qui m’habitait. Ok, si tu veux. Moi je n’ai pas envie, mais toi si. C’est vrai que je t’ai chauffé en te roulant une pelle, donc tu as le droit de demander le reste. Mais je n’ai pas envie. Tu ne me donnes pas envie.

J’ai repris mon corps en prenant une douche dans la nuit, une fois qu’il était parti.

Quand j’écris cela, je me rends compte 13 ans plus tard, de la gravité des actes de ce mec normal. Je me rends compte aussi que j’avais bien dit non, que j’avais le droit de dire non.

Est-ce que j’en ai parlé sur le moment ? Jamais. Enfin si, à un ex. Qui était hors de lui quand je lui ai raconté en pleurant.

Pendant longtemps, j’ai mis cela de côté. Je l’ai croisé quelques années plus tard avec sa copine et il a fait semblant de ne pas me reconnaître. C’est là que je me suis rendue compte que c’était grave.

Et en même temps, je n’arrivais pas à me dire que c’était grave. Pendant longtemps je me suis dit que c’était de ma faute, que je le méritais, que c’était une bonne leçon : je ne devais pas rouler des pelles comme ça, sans raison, par envie, si je n’étais pas sûre que j’irais plus loin. C’était normal voyons, les hommes ont des pulsions et j’avais trop joué. J’ai pensé cela pendant des années. Personne ne m’a jamais contredit quand j’ai commencé à en parler à certaines copines. Oui, c’était grave mais au fond, je le méritais un peu ?

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Moi aussi, je connais un porc, je connais un mec normal qui a eu un comportement de violeur, de prédateur et qui aujourd’hui ne s’en souvient plus. Si ça se peut, il poste même des articles disant que lui, il a toujours été respectueux. Je l’imagine avec sa femme et ses enfants en train de leur faire la leçon sur le consentement. Bizarrement, ça me fait marrer de voir les mecs normaux dire « ah non mais moi, JAMAIS ». Et je repense à ce mec normal et je me marre. Ou je pleure un peu. Ou les deux à la fois.

J’aurais pu te parler de ce mec qui marchait dans la rue dans le 14ème arrondissement vers Alésia et qui se branlait en même temps. Et qui m’a mis la main au cul en passant. J’aurais pu te parler de ce mec qui m’a suivi dans le métro toulousain et qui a essayé de me violer entre deux portes de mon immeuble. J’aurais pu te parler de ce frotteur, de ce mec en soirée qui voulait que je lui fasse une fellation, de ce mec qui m’a fait du chantage au suicide si je ne couchais pas avec lui, de ce mec qui m’a forcé à l’embrasser, de ce mec qui m’a ramené chez lui et qui après avoir couché m’a jeté de son lit en me disant que j’étais une salope, de ces mecs qui aiment faire circuler des rumeurs sur internet avec des photos de moi, de ces mecs qui me font boire pour voir si je tiens et qui essayent de m’embrasser, mais non, c’est pour rire.

J’aurais pu.

Mais non, moi je préfère te parler d’un mec normal, parce que justement c’est dans la normalité qu’on peut trouver les pires secrets, les pires actes, en se cachant derrière une dignité qui n’en est plus une.

Je connais un porc, je connais un mec normal, qui a eu un comportement de violeur, de prédateur et qui aujourd’hui ne s’en souvient plus.