Dans trois mois

Dans trois mois, tu devrais être dans nos bras. Tu devrais normalement nous avoir rejoint.

Bien-sûr, les calculs peuvent être encore faussés, surtout quand on n’a pas de cycle comme moi, mais moi je suis à peu près sûre que dans trois mois, on sera trois.

Que ce deuxième trimestre a été compliqué. Si tu savais à quel point je me suis détestée quand j’ai appris que tu étais un garçon et que j’ai dû me faire à l’idée. Bah oui, dans cette famille de filles, je ne m’étais jamais dit que c’était possible. C’étaient des sentiments contradictoires en permanence et puis cette culpabilité qui accompagne forcément. Encore heureux que Grumpf était là pour m’écouter, pour passer le cap, pour parler, pour ne pas que je reste seule face à mes profonds doutes.

Je m’inquiétais fortement : comment élever un garçon dans un monde déjà dominé par les garçons ? Comment j’allais contre les réflexes sexistes de notre société ? Et puis élever un enfant blanc, de parents dans le système ou quasi dedans, c’était élever pour moi un enfant privilégié… Mais en plus un garçon ! Je n’arrivais pas à me faire à l’idée.

Et puis j’ai regardé Grumpf. Je me suis dit que ses parents avaient pas trop mal réussi, alors qu’ils n’avaient pas forcément baigné dans toutes les lectures que je peux avoir. Je me suis dit que finalement, des garçons qui n’étaient pas machos, qui n’étaient pas sexistes, qui étaient au courant de leur privilèges, j’en connaissais. Et pas qu’un peu. Bien-sûr il y a des choses qui me font peur : jouer à la bagarre, jouer à être le chef, jouer à…. Tous ces jeux qui arrivent à l’entrée à l’école. Il faudra sûrement être fort et vigilant pour ne pas tomber tout le temps dans des stéréotypes. Je ne sais pas comment je pourrais le gérer. On apprendra, comme tout le reste.

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Que ce deuxième trimestre a été détestable. Les émotions en pagaille, la gestion du diabète et l’envie de bouffer du chocolat. Il a fallu aussi gérer les cours, trois Troisièmes, ce n’était pas de tout repos surtout quand il faisait 35 degrés dans ma classe… Mais je l’ai fait. Sans demander de traitement spécifique, sans rien dire. Je suis allée à un mariage incroyable où j’ai dansé jusque tard dans la nuit, je suis allée à la soirée du collège où j’ai hurlé du Céline Dion jusqu’au bout de la nuit. Je l’ai fait. Mais j’étais particulièrement déprimée. Le deuxième trimestre a été celui de la chialerie et des envies de rester la même, de ne pas me voir disparaître.

Et puis d’un coup, je me sens mieux. Comme apaisée. Comme prête.

Est-ce que ce sont les débuts des vacances ? Est-ce que c’est parce que je me sens pleinement à ma place au collège et  que je sais qu’une place m’y attend tranquillement en janvier ? Est-ce que c’est le sentiment de devoir accompli en un an ? Je n’en sais rien.

On t’a commandé ton lit aujourd’hui et j’ai retiré les affiches du bureau pour te faire une chambre, que tu vas partager avec ton Papa au début. Il doit encore finir d’écrire sa thèse. Peut être qu’on changera d’avis, mais vu que tu devrais normalement dormir avec nous au début, ton Papa a souhaité qu’on lui garde un bout de bureau quelque part, près de son fils. Je vais installer un paravent, pour ne pas que tu prennes la lumière de ce vilain ordinateur. Tu seras bercé par le cliquetis du clavier de l’œuvre de ton père, de ce qu’il l’occupe depuis plus de quatre ans… La chance <3

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On se fait petit à petit à l’idée d’être trois. Doucement mais sûrement.